Devant son église, il y avait un panneau avec une blague où le prix du café était de 100 roubles, mais gratuit en hrivna, la monnaie ukrainienne. La plaisanterie n'a pas plu aux Russes lorsqu'ils se sont emparés de Kherson, grande ville du sud de l'Ukraine, en mars.
A leur arrivée, le prêtre Sergey Chudovich, ancien aumônier de l'armée ukrainienne, s'était pourtant empressé de cacher les portraits des combattants du quartier tombés au front.
Mais cela n'a pas suffi. Le 30 mars, des soldats sont venus le chercher. "Ils m'ont enfoncé un bonnet sur la tête et ils m'ont emmené", raconte Sergey Chudovich mardi dans le 19h30 de la RTS. Les militaires russes voulaient que le prêtre leur donne des renseignements sur l'armée ukrainienne.
D'abord cordiaux, ses geôliers se montrent vite violents. "Ils m'ont frappé sur les genoux, sur la poitrine, sur la tête. Ils m'ont dit de me mettre à genoux et ont menacé de me violer avec une matraque", témoigne le prêtre.
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Après plusieurs heures de ce traitement, Sergey Chudovich est finalement libéré contre la promesse de collaborer avec les Russes, en leur livrant toute information sur les soldats ou l'armée. Il est finalement parvenu à quitter Kherson, où il est revenu à la libération, et à se réfugier à Mikolaïv.
Un mari militaire
Cette chance, Oksana, une quadragénaire ukrainienne, également rencontrée par l'envoyé spécial de la RTS, ne l'a pas eue. Aux yeux des Russes, son principal tort est d'avoir un mari militaire.
Vétéran de la guerre du Donbass, où il avait été décoré, Alexei travaillait comme policier à Kherson lorsqu'il a été mobilisé pour défendre la ville. Il est mort à 37 ans, au premier jour de la guerre, sur le pont Antonovski, où il se trouvait lorsque les chars russes sont arrivés.
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"Ils ont repéré sa position de tir et l'ont bombardé. Son corps a explosé en mille morceaux", confie cette femme éprouvée, qui a accepté de recevoir la RTS chez elle.
Des jours de torture
Dans son logement sans électricité, où les fenêtres sont toujours protégées par des planches de bois, Oksana revient sur son calvaire. Elle explique comment les soldats russes sont venus la chercher à son domicile parce qu'ils ne croyaient pas à la mort d'Alexei et la soupçonnaient de le cacher.
"On m'a demandé de me mettre en sous-vêtements. Dans la pièce d'à-côté, il y avait des activistes ukrainiens. Eux étaient habillés. Les soldats russes leur ont demandé si Kherson était russe. Ils ont dit Kherson est ukrainienne! Ils ont refusé de s'agenouiller et les Russes leur ont tiré dans les genoux", raconte-t-elle, s'interrompant à peine lorsqu'une salve de roquettes résonne au loin.
"On m'a mis un sac sur la tête, on m'a attachée à la chaise et ils ont commencé à m'arracher les ongles. On vous arrache les ongles, avec la tête dans un sac… vous suffoquez, vous ne savez pas ce qui vous attend", poursuit-elle. "Alors, j'ai prié pour rejoindre mon mari, pour ne pas être violée, pour mourir rapidement."
Terreur nocturne
Finalement, Oksana a été libérée, mais les tortures ne s'arrêtent pas pour autant. Pendant des semaines, des militaires débarquent chez elle dans la nuit. Elle est encore menacée et battue. "Ils sont venus à 4h du matin. Ils ont mis mon bras dans de l'eau bouillante. Ils m'ont dit que je n'en avais pas besoin si je ne travaillais pas avec eux."
Ils sont venus à 4h du matin. Ils ont mis mon bras dans de l'eau bouillante. Ils m'ont dit que je n'en avais pas besoin si je ne travaillais pas avec eux
Les visites ont fini par s'arrêter. Et les Russes par quitter la ville. Mais Oksana se réveille toujours régulièrement au milieu de la nuit, terrifiée à l'idée que les soldats frappent de nouveau à sa porte.
Reportage TV: Sharon Aronowicz et Tristan Dessert
Adaptation web: jgal