Publié

L'Iran étoffe son enrichissement d'uranium à 60% dans une seconde usine

Le site nucléaire de Natanz, en Iran, photographié en 2005. L'Iran y enrichit de l'uranium à 60% depuis 2021. [Reuters - Raheb Homavandi]
L'Iran commence à enrichir l'uranium à 60% dans une usine / Le 12h30 / 1 min. / le 22 novembre 2022
L'Iran a commencé à produire de l'uranium enrichi à 60% dans son usine de Fordo, selon l'agence de presse Isna. C'est une nouvelle entorse à ses engagements pris devant les grandes puissances et une riposte à une résolution critique adoptée par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA).

Ce seuil de 60% dépasse largement celui de 3,67% fixé par l'accord de 2015 entre Téhéran et les Occidentaux sur le programme nucléaire iranien, visant à empêcher l'Iran de se doter de l'arme atomique. Un uranium enrichi à 90% est nécessaire pour produire une bombe atomique.

L'usine souterraine de Fordo est située à 180 kilomètres au sud de Téhéran, dans le nord du pays. Elle avait été remise en service en 2019 et récemment modifiée en vue d'obtenir une meilleure efficacité.

Invité dans Forum, Sébastien Regnault, chercheur au CNRS et spécialiste de l'Iran contemporain, juge qu'il faut "voir cet enrichissement à 60% comme une mesure de rétorsion face au durcissement de la position de l'AIEA". "Il faut donc y voir un geste politique", ajoute-t-il.

En effet, selon lui, "ce n'est pas du tout dans l'intérêt iranien d'avoir la bombe. (...) Si l'Iran a sa bombe, la Turquie, l'Egypte, l'Arabie Saoudite développeront des bombes. Il y aura une course à l'armement nucléaire dans la région. L'Iran n'a aucun intérêt à cette course", développe le chercheur, avançant que l'Iran serait le "premier perdant" de cette course "tous azimuts".

>> L'interview de Sébastien Regnault dans Forum:

L’Iran commence à produire de l'uranium enrichi à 60%: interview de Sébastien Regnault
L’Iran commence à produire de l'uranium enrichi à 60%: interview de Sébastien Regnault / Forum / 6 min. / le 22 novembre 2022

D'abord de l'uranium enrichi à 20%

Le pacte de 2015, connu sous son acronyme anglais JCPOA, offre à l'Iran un allègement des sanctions internationales en échange de garanties permettant d'assurer que Téhéran ne se dotera pas de l'arme atomique. La République islamique a toujours nié poursuivre cet objectif.

Le site nucléaire de Natanz, en Iran, photographié en 2005. L'Iran y enrichit de l'uranium à 60% depuis 2021. [Reuters - Raheb Homavandi]
Le site nucléaire de Natanz, en Iran, photographié en 2005. L'Iran y enrichit de l'uranium à 60% depuis 2021. [Reuters - Raheb Homavandi]

Mais à la suite du retrait des Etats-Unis du JCPOA en 2018, sous l'impulsion de Donald Trump, et du rétablissement des sanctions américaines qui étouffent son économie, Téhéran s'est progressivement affranchi de ses obligations. Et pour cause, "l'accord de 2015, par définition, est mort", explique Sébastien Regnault.

Ainsi, principale mesure de ce désengagement, Téhéran avait enclenché en janvier 2021 le processus destiné à produire de l'uranium enrichi à 20% dans l'usine de Fordo.

Puis en avril 2021, l'Iran avait annoncé avoir commencé à produire de l'uranium enrichi à 60% dans le site de Natanz, se rapprochant du seuil des 90%.

>> Lire : L'Iran entend augmenter encore l'enrichissement de l'uranium

Mesures de rétorsions contre l'AIEA

Dimanche, l'Iran a annoncé avoir pris des mesures de rétorsion contre l'AIEA à la suite d'une résolution critiquant le manque de coopération de Téhéran, présentée par les Etats-Unis et trois pays européens (Royaume-Uni, France et Allemagne).

Cette résolution votée jeudi dernier par le Conseil des gouverneurs de l'agence onusienne est la deuxième cette année, après celle de juin. La Russie et la Chine avaient voté contre.

Le motif de discorde à l'origine des deux résolutions est le même: l'absence de réponses "techniquement crédibles" de Téhéran concernant des traces d'uranium enrichi retrouvées sur trois sites non déclarés.

Téhéran réclame en effet une clôture de l'enquête de l'AIEA pour parvenir à un compromis avec ses interlocuteurs directs (Allemagne, France, Grande-Bretagne, Chine et Russie), tandis que les Etats-Unis y participent indirectement.

Négociations à l'arrêt

Le dossier des sites non déclarés est un des principaux points sur lesquels butent les négociations démarrées en avril 2021 à Vienne pour ranimer l'accord de 2015. Après des signaux positifs en août, les pourparlers sont désormais au point mort.

"C'est un moyen pour les Iraniens de ramener les Occidentaux autour de la table des négociations. (...) Tout est une histoire de diplomatie. La question est de savoir qui va ramener les uns et les autres autour de la table de négociations," explique Sébastien Regnault dans Forum. Selon lui, "tout le monde a un intérêt à ce qu'il y ait un accord, autant les Iraniens que les Occidentaux."

L'AIEA a confirmé que l'Iran a commencé à produire de l'uranium enrichi à 60% avec des centrifugeuses IR-6 déjà présentes sur place à Fordo.  L'agence confirme aussi que la République islamique prévoit d'augmenter de manière significative la production d'uranium faiblement enrichi (jusqu'à 5% ou 20%).

Côté américain, le porte-parole de la Maison Blanche John Kirby a exprimé mardi la "profonde préoccupation" des Etats-Unis face à la "progression" du programme nucléaire iranien, mais sans confirmer que l'Iran a bien commencé à produire de l'uranium enrichi à 60% dans son usine de Fordo. "Nous n'avons certainement pas changé notre point de vue qui est que nous ne laisserons pas l'Iran se doter de l'arme nucléaire", a encore dit John Kirby.

afp/ami

Publié