Chargé de cours à l'Université de Genève, Ozcan Yilmaz rappelle que les Etats de la région ont toujours tout fait pour freiner les revendications kurdes. Aujourd'hui, certains de ces pays sont très affaiblis. D'autres profitent de cette situation.
"La Syrie est dans une situation extrêmement difficile", explique le politologue et historien. "Cela laisse la possibilité pour la Turquie d'intervenir. L'Irak est dans une situation extrêmement difficile. Cela permet à la Turquie et à l'Iran d'y intervenir."
Visées électoralistes d'Erdogan
Pour le sociologue Ihsan Kurt, l'intervention turque contre les kurdes de Syrie s'explique surtout par des considérations électoralistes. "C'est la stratégie du gouvernement (du président turc, ndlr) Erdogan, qui mène toujours sa politique de chaos, parce la situation économique est très difficile et il y aura des élections nationales au mois de juin prochain. Il a donc besoin d'unir le pays autour des sentiments nationalistes anti-kurdes pour se sortir de ces élections."
L'artillerie et l'aviation turques ont pilonné le nord de l'Irak et de la Syrie, dans le cadre de l'opération Griffe Epée, lancée dimanche. La Turquie est "déterminée plus que jamais" à protéger sa frontière avec la Syrie des combattants kurdes, a déclaré mercredi le président Recep Tayyip Erdogan.
Ankara accuse le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et les Unités de protection du peuple (YPG) d'avoir commandité l'attentat d'Istanbul du 13 novembre. Les deux mouvements ont démenti être à l'origine de l'explosion, qui a fait six morts et des dizaines de blessés. L'Etat turc menace aussi de lancer une opération terrestre dans le nord de la Syrie.
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Le Kurdistan irakien attaqué de part et d'autre
Le nord de l'Irak est pris entre deux feux. La région du Kurdistan est attaquée par les Turcs d'un côté, et les Iraniens de l'autre. Les deux grandes puissances bombardent des positions kurdes.
Les autorités locales refusent de servir de terrain de bataille, explique le directeur du département des Relations étrangères du gouvernement régional kurde, Safeen Dizayee.
"Le gouvernement régional du Kurdistan irakien est extrêmement préoccupé par ce qui se passe presque quotidiennement dans les zones frontalières avec la Turquie et l'Iran", déclare-t-il. "Nous constatons que l'intégrité et la souveraineté de l'Irak sont violées presque chaque jour." Il appelle le gouvernement irakien et la communauté internationale à "aborder ces questions" et à "trouver des solutions à ces problèmes".
Des attaques "prétextes"
Selon lui, les troubles sont injustifiés. "Si vous regardez les activités ou le comportement des groupes d'opposition kurdes iraniens, il n'y a pas eu d'escalade au cours des dernières semaines ou des derniers mois, ce qui peut prêter à penser que ces attaques (de l'Iran, ndlr) sont un prétexte", avance le dirigeant.
Le sociologue Ihsan Kurt rappelle également que la mort de Masha Amini en Iran a déclenché une vague de répression impitoyable dans la région kurde du nord-ouest du pays. "Le régime est en train de tenir responsable le mouvement des femmes kurdes dans l'organisation de cette insurrection contre le régime", affirme-t-il.
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Le groupe Etat islamique tourne la situation à son avantage
Les Kurdes syriens attendent l'offensive terrestre promise par le président turc Erdogan avec un fort sentiment d'abandon de l'Occident. Ils étaient en première ligne dans les combats contre le groupe Etat islamique (EI), qui use de la situation à son avantage.
"Daech (autre nom de l'EI, ndlr) profite de toutes les opérations de la Turquie en réorganisant ses attaques", note Ozcan Yilmaz. "On a vu une augmentation de ses activités après chaque opération militaire de la Turquie, parce que le groupe est encouragé et que, dans certains cas, certaines opérations ont provoqué la fuite de certains responsables et combattants de Daech depuis les prisons kurdes", développe le chercheur.
Sujet radio: Nicolas Vultier
Propos de Safeen Dizayee recueillis par Benoît Drevet
Adaptation web: ami avec afp