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Comment l’aide internationale à l’Afrique a changé après la crise sanitaire

La famine menace 45 millions de personne en Afrique australe. [Keystone - Aaron Ufumeli]
Nouveaux donateurs mais moins d’argent: l'aide au développement change / Tout un monde / 7 min. / le 24 novembre 2022
Ces dernières années, la crise du Covid, les changements climatiques et plus récemment la guerre en Ukraine ont changé la donne pour l'aide internationale aux pays africains. Il y a moins d'argent à disposition et de nouveaux donateurs sont apparus avec des vues pas toujours désintéressées.

L'aide occidentale à l'Afrique a diminué ces dernières années en particulier depuis la crise sanitaire et la crise économique qui a suivi, constate Dapo Oyewole, co-fondateur de l'organisation Dignity Collective au Nigeria, à l'occasion d'une table ronde qui a réuni des experts d’ONG africains à l’Université de Genève.

"La montée des mouvements populistes et nationalistes a rendu les gouvernements des pays occidentaux - qui sont aussi des donateurs - un peu plus prudents. Ils doivent justifier les raisons pour lesquelles ils vont dépenser l'argent de leurs contribuables pour résoudre les problèmes d'autres pays", a-t-il expliqué jeudi dans l'émission Tout un monde.

Impératifs politiques

La guerre en Ukraine a également accéléré les choses avec une réduction de l'argent mis à disposition pour les pays dans le besoin. Par ailleurs, selon Ibrahim Tanko Amidu, directeur d'une organisation philantropique au Ghana, l'aide internationale est de plus en plus soumise à des impératifs politiques.

"Avec le développement de l'extrémisme et du terrorisme au Sahel, par exemple, beaucoup de pays occidentaux subordonnent leur aide à des priorités de sécurité nationale. Ils se demandent avant tout comment orienter l'aide vers des pays fragilisés, qui risquent de succomber au terrorisme violent".

De nouveaux acteurs

Les pays donateurs traditionnels comme l'Europe ou les Etats-Unis sont également peu à peu remplacés par d'autres acteurs tels que la Turquie, l'Inde, l'Arabie saoudite, les Emirats ou encore la Chine avec, chaque fois, des objectifs et intérêts un peu différents, explique Ibrahim Tanko Amidu.

"Une des priorités des pays du Golfe est la diffusion de l'islam sur le continent, donc ils se concentrent davantage sur des projets précis comme la construction d'écoles, l'approvisionnement en eau. Cela fait partie de cette influence islamique." En cela, ils se rapprochent du softpower de la Turquie alors que l'influence de la Chine, par exemple, a des visées clairement géopolitiques.

Pour les gouvernement africains, il est souvent plus confortable de se tourner vers la Chine à qui ils ne doivent pas rendre des comptes sur des questions de droits humains.

De plus, si des problèmes de pollution ou d'atteinte à la santé surviennent dans les régions exploitées par des sociétés chinoises, il est souvent plus complexe de remonter les chaînes de responsabilité car peu d'ONG chinoises les interpellent.

Impact du réchauffement climatique

L'autre tendance qui inquiète les experts africains, c'est que l'aide, quand elle n'est pas orientée par des intérêts géostratégiques, concerne plus l'urgence humanitaire que le développement.

L'une des raisons à cela est le dérèglement climatique, explique Jok Madut Jok, professeur d'anthropologie à l'Université de Syracuse dans l'Etat de New York. "Les inondations au Soudan du Sud, les sécheresses en Somalie et au Kenya, ce sont ces cas d'urgence qui ont poussé les pays occidentaux à mettre plus de fonds dans l'aide humanitaire et moins dans le développement."

Mais pour Jok Madut Jok, le fait qu'il y ait moins d'argent est peut-être quand même une opportunité pour repenser l'aide au développement. "Si les gouvernements des pays africains pouvaient gérer leurs budgets correctement, sans corruption, détournement de fonds ou mauvaise gestion, ils auraient assez de ressources économiques pour aider leurs populations. Le problème, c'est qu'ils n'ont pas été assez testés ni défiés sur ces questions."

Quel rôle pour la société civile?

Pour Dapo Oyewole, de l'organisation nigériane Dignity collective, les mouvements de contestation de la société civile sont en marche. "La société civile est de plus en plus visible. L'impact des ONG est indéniablement plus important, elles défient les gouvernements et leur demandent de rendre des comptes. Mais ce qu'on ne voit pas assez malheureusement, c'est une remise en question, par ces mêmes ONG, des pays donateurs ou des organismes internationaux qui les financent." Selon lui, leur capacité à défendre leurs priorités est parfois affectée par le fait qu'elles ne veulent pas mordre la main qui les nourrit.

Ainsi, pour Dapo Oyewole, c'est aux pays africains et à ces organisations locales de prendre leur destin en main. Et cela en particulier si elles veulent combattre la pauvreté, les inégalités et encourager l'aide au développement.

C'est également l'avis de Nana Fatima Mede, ancienne ministre au Nigeria actuellement à la tête d'une fondation d'aide aux plus vulnérables, interrogée jeudi dans Tout un monde. "Comment peut-on réduire le niveau de pauvreté dans notre pays, aider les plus démunis, réussir à éduquer nos enfants sans que l'on demande à chaque fois l'aide des pays développés? Il est nécessaire de construire un cadre qui soit durable et sûr pour nos enfants et les enfants de nos enfants", souligne-t-elle.

Francesca Argiroffo/hkr

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