Publié

Jonathan Coe: depuis le Brexit, on assiste à une "bousculade pour le pouvoir"

L'écrivain britannique Jonathan Coe. [afp - Ulf Andersen / Aurimages]
"Le Royaume désuni", le dernier roman de l’écrivain anglais Jonathan Coe / Tout un monde / 9 min. / le 28 novembre 2022
L'écrivain britannique Jonathan Coe s'intéresse depuis longtemps à l'histoire de son pays et observe avec un regard critique les rebondissements intervenus depuis le Brexit. "On assiste à une bousculade pour le pouvoir parmi les politiciens conservateurs", note-t-il.

Une plongée dans le passé pour mieux comprendre le présent, telle est la visée de Jonathan Coe dans son dernier roman, "Le Royaume désuni". Un titre évocateur alors que le pays sort de deux chocs intenses, le Brexit et la mort de la reine Elizabeth II, et traverse toujours des turbulences politiques d'envergure.

Dans cet ouvrage, l'écrivain britannique, notamment connu pour son roman "Testament à l'anglaise", livre une fresque historique et politique à travers sept périodes marquantes de l'histoire récente, depuis 1945 et la victoire lors de la Seconde Guerre mondiale jusqu'au confinement de 2020, en passant par le couronnement d’Elizabeth II et la mort de Lady Diana. Mais pas le décès de la reine, qui est intervenu après la rédaction du livre.

Des dirigeants qui étalent leurs différends en public

Jonathan Coe s'intéresse depuis longtemps à l'identité britannique et à la vie politique au Royaume-Uni. Il a assisté évidemment à la valse des Premiers ministres depuis le Brexit: David Cameron, Theresa May, Boris Johnson, Liz Truss et désormais Rishi Sunak. Cinq dirigeants depuis le vote de 2016 et deux ces derniers mois, des revirements qui en disent long à ses yeux sur l’état du pays au niveau politique.

>> Lire aussi : Rishi Sunak nommé officiellement Premier ministre britannique par le roi Charles III

"Le parti conservateur a étalé ses très profondes divisions personnelles sur la scène nationale et a entraîné le pays tout entier avec lui", a commenté Jonathan Coe lundi dans l'émission Tout un monde. Pour lui, David Cameron a proposé un référendum sur l'Europe afin d'apaiser les extrémistes eurosceptiques de son parti. "Il pensait gagner, mais en fait il a ouvert la boîte de Pandore. Et depuis le référendum, on assiste à une bousculade pour le pouvoir parmi les politiciens conservateurs."

David Cameron pensait gagner, mais il a ouvert la boîte de Pandore

Jonathan Coe

L'écrivain de 61 ans juge que son pays se trouve maintenant "violemment tiraillé dans des directions différentes, comme Liz Truss et Kwasi Kwarteng ont essayé de le faire avec leur budget désastreux en septembre". Il regrette également que ces dirigeants règlent leurs différends en public: "C'est ce que j’ai le plus de mal à pardonner. Ces personnes ont toujours fait passer le parti en premier, au détriment du pays. Et cela nous a mis dans une situation très difficile."

Le Brexit, des divisions qu'il s'agit désormais de surmonter

Europhile, Jonathan Coe a longtemps regretté le Brexit, qui est intervenu après un moment d'unité marquant pour les Britanniques: les Jeux olympiques de Londres en 2012. Ceux-ci nous ont "permis de présenter au monde une version de notre identité nationale qui, beaucoup d’entre nous le pensaient à l’époque, était progressiste, ironique, inclusive et plaisante."

Mais le Brexit "a porté un coup à cette idée", emmenant le Royaume-Uni dans une autre direction, "davantage tournée vers l’intérieur, plus insulaire, peut-être plus axée sur le passé que sur le présent ou l'avenir". Ce scrutin a aussi généré de profondes divisions dans le pays, qui subsistent aujourd'hui.

Six ans après le référendum, je ne vois pas vraiment l'intérêt d'être en colère

Jonathan Coe

Jonathan Coe a toutefois fini par surmonter sa déception: "Six ans après le référendum, je ne vois pas vraiment l'intérêt d'être en colère". C'est devenu une réalité avec laquelle il faut composer, selon lui, car le Royaume-Uni ne va pas revenir au sein de l’Union européenne dans un avenir prévisible.

L'écrivain note que la plupart des opposants au Brexit admettent désormais que si "nous avons fait cette chose stupide, il faut maintenant en tirer le meilleur parti". Lui aussi avoue qu'il doit faire de même "en tant que Britannique patriote", tout en précisant que "ce n'est pas facile".

Une unité "fascinante" à la mort de la reine

Dans ce tableau plutôt sombre, Jonathan Coe relève un moment de rare unité dans le pays: l'émotion soulevée par la mort d'Elizabeth II. "Je ne suis vraiment ni pro ni anti-monarchiste, mais j'ai été fasciné par la réaction des Britanniques à la mort de la reine." Et par "ces phénomènes étranges comme cette fameuse queue de personnes qui serpentait sur des kilomètres et des kilomètres autour de Londres, avec des gens debout dans le vent et la pluie, pendant plus de 20 heures parfois, pour passer quelques instants en présence du cercueil de la reine."

L'auteur avoue que son instinct le poussait initialement à être plutôt cynique et à se moquer de ce phénomène. "Mais en fait, plus je l'ai regardé et plus j'ai écouté les interviews des personnes qui l’avaient fait, et combien elles se sentaient heureuses et épanouies, plus j'ai été surpris." Il se dit au final impressionné que "cette femme puisse faire ressortir des sentiments encore aussi puissants dans le peuple britannique".

>> Revoir le sujet du 12h45 sur les Britanniques faisant la queue pour voir le cercueil de la reine :

Les Britanniques font la queue nuit et jour pour se recueillir une dernière fois devant la dépouille de la reine Elizabeth II
Les Britanniques font la queue nuit et jour pour se recueillir une dernière fois devant la dépouille de la reine Elizabeth II / 12h45 / 1 min. / le 17 septembre 2022

Propos recueillis par Patrick Chaboudez

Adaptation web: Frédéric Boillat

Publié