Depuis l'invasion du 24 février, les autorités ukrainiennes dénoncent régulièrement ce qu'elles considèrent comme un silence coupable du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) face à l'ampleur des violations russes des Conventions de Genève. Les dernières accusations contre l'organisation, qui est basée à Genève, remontent au 15 novembre dernier.
Dans un discours virtuel face au G20, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a regretté le faible soutien reçu par le CICR. "Nous ne les voyons pas se démener pour obtenir l'accès aux camps où des Ukrainiens sont prisonniers de guerre et où des prisonniers politiques sont retenus. Ils ne nous aident pas non plus à retrouver les Ukrainiens qui ont été déportés", a-t-il accusé, avant d'assener: "Ce désengagement signe l'autodestruction de la Croix-Rouge".
Des obligations à respecter
"Le CICR continue à remuer ciel et terre pour avoir accès à tous les prisonniers de guerre de ce conflit-là", répond Robert Mardini, le directeur du CICR, invité mardi du 19h30 de la RTS. "Il ne faut pas renverser le fardeau de la responsabilité. Le CICR a des obligations de moyens et nous mettrons tous les moyens pour avoir cet accès-là, mais l'obligation incombe aux parties au conflit", ajoute-t-il.
Dans un communiqué, publié en octobre, l'organisation faisait part de sa frustration face à son manque d'accès à l'ensemble des prisonniers de guerre détenus dans le cadre du conflit armé international entre la Russie et l'Ukraine. "Nous avons pu visiter des centaines de prisonniers de guerre, mais il y en a des milliers d’autres que nous n’avons pas pu voir", est-il précisé.
Il faut mesurer l'impact de tous les efforts que mes collègues font au quotidien pour avoir accès à tous les prisonniers de guerre en Ukraine et en Russie
En vertu de la troisième Convention de Genève, les parties à un conflit armé international sont tenues d'accorder au CICR l'accès immédiat à tous les prisonniers de guerre ainsi que le droit de leur rendre visite où qu'ils soient détenus, ceci afin de pouvoir s'assurer des conditions de détention des détenus, du traitement qui leur est réservé et de pouvoir informer leurs familles.
Une discrétion voulue
Face à la situation en Ukraine, des voix se sont élevées en Suisse aussi, s'interrogeant sur le silence de l'organisation, basée à Genève. "Je trouve inadmissible que ces violations du droit humanitaire n'aient aucune retombée immédiate, apparemment, sur l'action du CICR. Il n'y a pas eu de dénonciations. Il n'y a pas eu de prise de position publique", regrette Pierre de Senarclens, professeur honoraire à l'Université de Lausanne et ancien vice-président de la Croix-Rouge suisse, dans le 19h30 de la RTS.
Pour lui, s'il est évident que le CICR doit agir avec une certaine discrétion, il se doit aussi de rendre publique son incapacité à accéder aux prisonniers et à remplir son mandat. Dans son histoire, l'organisation a d'ailleurs déjà publiquement dénoncé des violations graves du droit humanitaire à une quarantaine de reprises, dans les territoires occupés par Israël, pendant la guerre Irak-Iran et en Afghanistan.
"Le CICR n'a pas une armée pour forcer les portes. [Il] peut certes sortir de sa réserve et aller dans le domaine public, mais seulement quand il aura épuisé tous les moyens d'influence qu'il a et, aujourd'hui, nous avons des signaux encourageants par rapport à des accès futurs à des prisonniers de guerre", justifie Robert Mardini dans le 19h30, sans confirmer que ces signaux viennent de Moscou.
Insatisfaction
Des signaux et, surtout, des résultats, c'est ce qu'espère aussi la députée ukrainienne Liudmyla Buimister, également interrogée par la RTS mardi. "A la Croix-Rouge, ils font des choses qu'ils peuvent faire, mais parfois, même leurs possibilités juridiques et légales ne sont pas suffisantes pour vraiment avoir un impact sur la situation des droits de l'Homme", constate-t-elle.
Les efforts de la Croix-Rouge internationale ne sont pas suffisants, pas seulement par rapport aux prisonniers, mais aussi par rapport aux territoires sous occupation russe, par rapport à l'évacuation des civils
Côté ukrainien, beaucoup se demandent, comme Liudmyla Buimister, si le CICR trouve qu'il en fait assez ou s'il en fera davantage à l'avenir. "Les observateurs neutres de crimes deviennent leurs complices", accusait même lundi le commissaire aux droits de l'Homme du Parlement ukrainien, Dmytro Lubinets, dans Le Temps.
"Il faut mesurer l'impact de tous les efforts diplomatiques qui ont été faits. L'approche discrète du CICR a porté ses fruits", a encore insisté Robert Mardini sur le plateau du 19h30. Avant de concéder: "C'est très insatisfaisant, mais ça bouge".
Juliette Galeazzi, avec Stephen Mossaz et Philippe Revaz