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L'investissement durable ne tient ses promesses qu'une fois sur deux

La finance verte propose d'utiliser les marchés pour accélérer la transition écologique. [Fotolia - thekob5123]
Les fonds durables, ça existe vraiment? / Tout un monde / 7 min. / le 1 décembre 2022
Les fonds d’investissement dits "durables" se multiplient actuellement, mais tiennent-ils réellement leurs promesses? Selon une enquête menée par plusieurs médias, dont "Le Monde", la moitié de ces fonds labellisés "verts" recourent aux énergies fossiles.

L’enquête de ces médias porte sur plus de 800 fonds européens, classés "article 9". Selon une réglementation européenne, ils doivent répondre à des critères de durabilité stricts et s’abstenir de financer des entreprises considérées comme polluantes.

Pourtant, dans près de 40 fonds "super verts" commercialisés en France, on trouve des actions de "TotalEnergies". D’autres entreprises, pas totalement décarbonées, se retrouvent également dans de nombreux fonds.

Ces résultats ne surprennent pas Tali Paschoud, avocate et membre fondatrice de Avocats pour le climat. Jeudi dans Tout un monde, elle affirme trouver "le meilleur comme le pire" dans ces portefeuilles d'actions.

Certains acteurs du monde financier ont la durabilité dans leur ADN, mais d'autres profitent d'un effet de mode, explique l'avocate: "Afin d'en tirer un avantage économique, pour tromper l'investisseur, ils sont nombreux à profiter du cadre légal flou."

Attirer les millennials

Face à ces résultats, Julien Lefournier, ancien trader de grandes banques pendant 25 ans, est plus sévère: "Si votre objectif est de faire baisser les émissions de gaz à effet de serre, ces fonds n'ont aucune utilité. Il n'y a pas de lien de cause à effet entre votre placement et la conséquence que vous recherchez."

"Ils sont destinés à collecter les fonds des millennials", explique le financier, "car ce sont les mêmes gérants de fonds qui vendent ces placements-là et les portefeuilles traditionnels".

Reste que plus de la moitié des fonds analysés répondent aux critères de durabilité. Clémence Lacharme, de Carbone4, un cabinet de conseil spécialisé dans les enjeux énergie et climat, estime qu'il faudrait davantage de transparence: "Il faut que la réglementation soit très stricte par rapport à ce qui est affiché. Parce que l'on peut très vite tomber dans une forme de marketing."

Clémence Lacharme souhaite aussi davantage de réglementations et une meilleure formation des traders: "Ils mettent un peu de ci, un peu de ça. C'est comme cela que l'on arrive à des fonds qui promettent des choses qui ne sont pas la réalité."

La part grise de ces fonds

Autre exemple, des sociétés énergétiques actives dans le renouvelable, comme le groupe allemand RWE ou l’américain Nextera, mais qui pourtant produisent encore une partie de l’électricité à partir du gaz, du charbon ou du pétrole, se retrouvent dans un fonds vert de Pictet.

La banque affirme toutefois appliquer des critères stricts: "Dans quelques rares cas où les entreprises se sont engagées à une décarbonisation complète, Pictet autorise une exposition limitée aux énergies fossiles afin de pousser ces entreprises à accélérer leur transition vers une économie sans énergies fossiles."

Cette déclaration d'accompagnement à la transition ne convainc pas Lara Cuvelier, membre de l'ONG Reclaim Finance, spécialisée dans les enjeux liés à la finance et au climat: "TotalEnergie" est le septième plus gros développeur au monde de nouveaux projets de production de pétrole et de gaz. Il fait partie de fonds durables, on peut donc se demander à juste titre comment ces gestionnaires d'actifs définissent ce qu'est une entreprise en transition?"

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Le besoin d'une législation claire

Clémence Lacharme, de Carbone4, est favorable à l'accompagnement à la transition, mais elle dénonce un problème de méthodologie: "Quand la sélection des entreprises ne se base pas uniquement sur leurs positions climatiques, mais également sur des indicateurs environnementaux, sociaux et de gouvernance, là on mélange."

Selon l'avocate Tali Paschoud, le rôle des régulateurs externes est fondamental, il ne faut pas s'attendre à une autodiscipline de la part des gestionnaires d'actifs: "L'Europe a le mérite d'avoir une première réglementation. Chose que l'on n'a pas en Suisse. Notre gouvernement a dit qu'il ne ferait pas de 'copié-collé', c'est-à-dire qu'il ne va pas légiférer. La Suisse s'attend à ce que le monde financier s'autorégule et que tout s'aligne un peu comme par magie."

"Le sujet est bien trop important pour être laissé en mains de ces acteurs", poursuit l'avocate, avant de conclure: "On a besoin d'une réglementation, (...) il faut une transparence des investissements sur notre planète."

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Sujet radio: Patrick Chaboudez et Ariane Hasler

Adaptation web: Miroslav Mares

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