"On trouve des corps qui gisent depuis le printemps. On fouille la zone. On se renseigne auprès des habitants. Ils ont parfois dû enterrer à la va-vite les corps, de manière à ce qu'ils ne soient pas dévorés par les chiens et les animaux sauvages", témoigne vendredi dans La Matinale Olexander Babich, ex-policier et archéologue.
Lui et ses compagnons sont régulièrement appelés en renfort par l'armée pour trouver et récupérer les cadavres des soldats. "On trouve souvent des corps auxquels il manque des membres. Il y a aussi ces moments où tu ne sais pas dans quel sac mortuaire mettre ce bras ou cette jambe", explique-t-il encore.
En une semaine, Olexander et son groupe de volontaires ont pu retrouver 70 corps. Il a sur son téléphone portable des dizaines d'images. Des prélèvement ADN sont réalisés pour tenter de les identifier. Les corps des soldats ukrainiens seront ensuite rendus aux familles qui pourront organiser des funérailles.
Davantage de corps de soldats russes
Les corps de soldats russes sont aussi enlevés. Ils sont d'ailleurs bien plus nombreux dans cette région. Ainsi, sur les 70 cadavres qu'Olexander vient de trouver, 65 sont des Russes. "Nous mettons les Russes dans des congélateurs. Voici les wagons frigorifiques. Il y a 64 corps uniquement dans ce wagon-ci", relate-t-il.
Il est difficile pour lui d'avoir de la compassion pour ceux qui envahissent son pays. S'il accepte d'enlever aussi les corps des soldats russes, c'est parce qu'il espère pouvoir les échanger.
"Si je ramasse le corps d'un Russe et que nous parvenons à l'identifier, cela augmente les chances qu'en échange, un de nos garçons puisse revenir un jour à sa mère", explique Olexander.
Mais depuis des mois, selon lui, la Russie ne récupère plus les cadavres de ses soldats.
"Apprendre à faire avec"
Dans la région de Kherson, seule une infime partie du territoire est accessible pour l'heure. Très peu de corps ont été retrouvés. Non seulement il y a des mines partout, mais en plus, même si les corps sont accessibles, ils peuvent représenter un danger.
"On doit tirer les corps vers nous avec un crochet parce que très souvent il y a une grenade dégoupillée sous le corps. Donc dès que vous le soulevez, la bombe explose. On doit vérifier chaque cadavre, pour voir s'il est ou non piégé."
Je ne suis pas sûr de ce que je ressens. Je veux dire qu'à chaque fois, c'est différent. On ne peut pas s'habituer à cela
Comment Olexander et ses compagnons gèrent-ils ces images terribles, cette odeur de cadavre qui les poursuit. "Personne ne juge personne. Personne ne force personne. D'autant plus qu'on est tous des bénévoles. C'est vraiment un choix personnel. Je dois vous avouer que moi-même, je ne suis pas sûr de ce que je ressens. Je veux dire qu'à chaque fois, c'est différent. On ne peut pas s'habituer à cela."
Olexander raconte aussi ces moments terribles où des mères lui disent où se trouvent les corps de leurs fils, mais comme ils se situent à proximité de la ligne de front, il est trop dangereux de tenter de les récupérer. "Le corps peut rester là pendant des mois. Parfois, vous voyez le corps mais vous ne pouvez pas ramper jusqu'à lui pour le sortir de là. Disons que j'ai dû en quelque sorte apprendre à faire avec."
Le nombre de victimes difficile à évaluer
Ce témoignage permet également de comprendre pourquoi il est si difficile de connaître le nombre de soldats morts dans ce conflit. Pas seulement en raison des difficultés évoquées mais aussi parce que les autorités ukrainiennes comme russes ne communiquent que très rarement sur le nombre de morts.
Alors que du côté russe, Moscou veut cacher ses difficultés militaires à sa population, Kiev ne veut pas donner trop d'indications à l'ennemi et ne pas briser le moral des troupes. Car la contre-offensive lancée par les Ukrainiens, même si elle est payante actuellement, cause bien plus de morts qu'au printemps.
Un maximum de 13'000 militaires ukrainiens ont été tués depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie en février, a toutefois affirmé jeudi un conseiller du président ukrainien Volodymyr Zelensky. Le mois dernier, le chef d'état-major américain, le général Mark Milley, avait de son côté estimé que plus de 100'000 militaires russes avaient été tués ou blessés depuis l'invasion et que les pertes étaient probablement du même ordre du côté ukrainien.
Cette guerre très dure et très meurtrière cumule les armes modernes, tels que missiles et drones mais elle est aussi une guerre "à l'ancienne", où des hommes détrempés meurent dans des tranchées boueuses et enneigées, comme lors de la Première Guerre mondiale.
Reportage radio: Maurine Mercier
Adaptation web: France-Anne Landry