Comment le crash volontaire est devenu l'hypothèse la plus plausible du mystère du vol MH370
L'ENQUÊTE
Premier élément: la perte du signal radar en mer de Chine
A 01h19, le vol MH370 quitte l'espace aérien de la Malaisie pour entrer dans celui du Vietnam. Le pilote souhaite "Good Night" (bonne nuit) au contrôleur aérien malaisien. Une minute plus tard, il aurait dû s'annoncer au contrôle aérien vietnamien, ce qu'il ne fera jamais. "Le contrôleur vietnamien a réagi une quinzaine de minutes plus tard. C’était très long", constate Jean-Luc Marchand, ingénieur aéronautique, dans le reportage diffusé dans Temps Présent.
Un rapport détaille les retranscriptions des échanges entre les tours de contrôle et la compagnie aérienne. En les relisant, certains experts prennent conscience de la confusion qui a régné pendant toute la nuit. Des dialogues affirment que l'avion vole au-dessus du Cambodge tandis que d'autres prétendent qu'il est en train d'atterrir. Constatant la disparition de l'appareil, la Malaisie lance d'importantes recherches à l'endroit où le signal a été perdu, pensant que l'avion s'est abîmé en mer. Sans succès.
Deuxième élément: le demi-tour sur la Malaisie
Deux jours plus tard, les autorités font une annonce troublante. Selon des radars militaires dotés de la capacité de détecter n’importe quel avion dans le ciel même lorsque ses communications sont coupées, le Boeing 777 a en réalité fait demi-tour et retraversé la Malaisie vers le détroit de Malacca. Plusieurs hypothèses sont avancées pour expliquer cette trajectoire incohérente, notamment un incident technique – une panne électrique totale, un feu ou de la fumée – qui aurait contraint le pilote à se dérouter sur le terrain le plus proche, ou le détournement terroriste.
Mais une fois disparu du giron des radars militaires à 02h25, la suite de la trajectoire reste mystérieuse.
Troisième élément: les satellites sur l'océan Indien
Une semaine après la disparition, l'entreprise Inmarsat, qui exploite un système de communication par satellite sur les avions de ligne, affirme que l'avion s'est connecté de manière automatique jusqu'à passé 8h du matin, où il se serait probablement retrouvé à court de carburant. "On a compris que l'avion avait toujours de l'électricité à bord et qu'il avait volé jusqu'à 8h19 du matin le samedi, heure locale de Malaisie. C'était une information importante qui a vraiment tout changé et qui a complètement rebattu les cartes", confirme Don Thompson, ingénieur aéronautique.
Les données du satellite ne permettent pas de localiser précisément le MH370, mais de savoir, toutes les heures, à quelle distance il se trouve du satellite, une mesure matérialisée par des arcs de cercle qui permet de déterminer des trajectoires potentielles. Grâce à une analyse plus précise, Inmarsat conclut que l'avion a suivi le "corridor sud", le long de ce qu'elle a appelé l'"Arc 7", loin de tout site d'atterrissage possible. L'Australie mène de nouvelles recherches dans la zone, en vain.
Quatrième élément: des débris sur les côtes africaines
Plus d'une année après la disparition, le 29 juillet 2015, un morceau d'aile de l'avion, un flaperon, est découvert sur une plage de l'île française de La Réunion, ce qui confirme l'hypothèse du crash dans l'océan Indien. D'autres seront retrouvés plus tard au Mozambique, en Tanzanie et à Madagascar notamment.
Les recherches en mer se poursuivent pendant 1046 jours sur une surface de 120'000 km2, soit trois fois la Suisse. Elles sont abandonnées en juillet 2017. Une année plus tard, la Malaisie publie son rapport d'enquête officiel, admettant ne pas être en mesure de déterminer les causes de la perte de son avion.
LA CONTRE-ENQUÊTE
Première hypothèse: l'avion a continué de planer
Un groupe d’experts de référence dans la communauté aéronautique, l'Independant Group, décide de poursuivre l'enquête de son côté. "Les objectifs initiaux de l’Independent Group étaient d'établir quelles observations et quelles données étaient réellement factuelles, crédibles et pouvaient donc être utilisées pour essayer de déterminer l'endroit où l'avion s’était écrasé dans l’océan", précise Dan Thompson, ingénieur aéronautique membre de l'Independant Group.
Dans un premier temps, les autorités ont estimé que l'avion avait épuisé son kérosène au niveau de "l'Arc 7" et qu'il avait alors chuté ou piqué à cet endroit-là. Mais les experts de l'Independent Group lancent une nouvelle hypothèse: l'avion aurait pu continuer de planer pendant environ 120 kilomètres avant de toucher la surface de l'eau. Une nouvelle opération de recherche, menée par la société américaine Ocean Infinity, est lancée dans une nouvelle zone modélisée par rapport à cette hypothèse. C'est un nouvel échec.
Deuxième hypothèse: un silence radio volontaire depuis le cockpit
Repartant de la case départ, les experts de l'Independant Group s'intéressent à une technologie négligée au cours de la première enquête et qui ne figure même pas dans le rapport officiel: l'ADS-B, qui reçoit et enregistre les données de vol des avions pour le redistribuer aux tours de contrôle de la zone. Pourtant, en Malaisie, quatre stations ADS-B ont bel et bien enregistré des données liées au MH370.
En analysant les données de ces stations, transmises par l'aviation civile malaisienne, l'ingénieur Dan Thompson parvient à déterminer que le transpondeur, l’outil qui permet à l’avion d’être vu par la tour de contrôle, n’a pas cessé d’émettre brutalement, comme cela aurait été le cas lors d’un crash. Il a été éteint progressivement, étape par étape, depuis l'intérieur du cockpit.
Troisième hypothèse: le pilote avait simulé ce scénario
Comme souvent dans ce genre de cas, c'est la personnalité du pilote qui est d'abord scrutée. Décrit comme taciturne selon un rapport de la police malaisienne ayant fuité sur internet, cet expérimenté pilote avec 33 ans d'expérience était équipé, dans sa cave, d'un simulateur de vol.
Or, l'analyse des données du disque dur de ce simulateur révèle qu'il avait effectué, peu de temps avant la disparition de l'avion, un vol virtuel similaire à celui du jour du drame, passant notamment par le Détroit de Malacca et se terminant au sud de l'océan Indien.
Quatrième hypothèse: les débris indiquent une tentative d'amerrissage
Pour conforter l'hypothèse du détournement volontaire à la réalité du terrain, les experts analysent plus en détail les débris de l'avion. Ils remarquent d'abord que tous les débris retrouvés proviennent du côté droit de l'avion. Spécialiste en structures aéronautiques, Argiris Kamoulakos simule à l’aide d’un supercalculateur l'impact de l’avion sur la mer à partir des débris retrouvés. Il parvient à définir un scénario très précis.
"Je pense que l'aile s'est brisée. Le moteur a été libéré, il est passé au-dessus de l'aile et il a heurté l'empennage. Donc l'épave de l’avion, à mon avis, est sans doute en quatre morceaux", détaille-t-il. Sa conclusion? Il ne s'agit pas d'un crash violent avec une désintégration de l'avion, mais plutôt d'un amerrissage raté sur le côté de droit de l'appareil, avec quelqu'un aux commandes jusqu'à la dernière seconde.
LES CONCLUSIONS
Entre l'extinction volontaire du transpondeur, le vol virtuel sur le simulateur et les indices d'amerrissage raté, les preuves convergent donc vers la théorie du suicide du pilote. A la question de savoir pourquoi, dans ce cas, il aurait décidé de voler incognito pendant sept heures, les experts pensent qu'il voulait éviter qu'on puisse lui mettre la responsabilité sur les épaules. "Sa famille en aurait subi les conséquences. Elle l'aurait très mal vécu et il ne voulait pas laisser cette image derrière lui", estime Patrick Blelly, commandant de bord. Mais "il a oublié deux choses: son simulateur avec les fameux points dans l'océan Indien et Inmarsat, qui permettait de reconstituer des arcs qui ont permis de définir la trajectoire", ajoute-t-il.
Malgré ces éléments, les experts continuent d'analyser les indices disponibles, mais rappellent qu'en raison de l'absence de l'avion, la prudence reste indispensable. "Accuser quelqu'un d'être suicidaire et meurtrier, c'est une accusation majeure et nous n'avons pas de preuve formelle que c'est le cas. Je pense que c'est une possibilité, mais nous ne pouvons pas affirmer avec certitude que c’est ce qui s’est passé", relativise Lindsey Bier, chercheuse en communication de crise.
Reste à savoir si l'épave, et ses boîtes noires qui permettraient d'analyser les dernières données de vol, seront localisées un jour. "Rechercher l’avion dans l’océan Indien, c’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Mais les technologies vont évoluer. Aujourd’hui, la société qui a cherché l’appareil en 2018 annonce pour l’année prochaine des capacités qui sont pratiquement cinq à six fois supérieures. Donc d’ici peut-être une vingtaine d’années, on va avoir des systèmes automatiques pour scanner le fond des océans. Un jour, on tombera dessus, c'est sûr", affirme l'ingénieur aéronautique Jean-Luc Marchand.
Reportage TV: Simon Viguie
Adaptation web: Victorien Kissling