"Nous sommes tous debout au milieu d'une scène de crime, avec des bureaux sous scellés et des collègues en prison", déclare une eurodéputée dans le journal Politico. De son côté, la présidente du Parlement européen Roberta Metsola parle d'une attaque contre la démocratie.
Pour Alberto Alemanno, professeur en droit de l'Union européenne à HEC Paris, il ne s'agit pas d'une attaque, mais plutôt d'une blessure auto-infligée. En effet, des règles existent, les députés doivent ainsi refuser tout cadeau de plus de 150 francs, mais elles ne sont pas suffisamment respectées, explique-t-il dans l'émission Tout un monde de la RTS.
L'autorégulation ne fonctionne pas.
Selon le Financial Times, depuis 2020, les 705 parlementaires européens n'ont déclaré que 39 cadeaux au registre officiel. Alberto Alemanno estime qu'on serait loin du compte: "Le cadre éthique de l'Union européenne est assez développé, plus que celui des Etats membres de l'Union, mais cela n'a pas été suffisant. (...) Car finalement ce sont des collègues qui se contrôlent les uns les autres et ce type d'autorégulation ne fonctionne pas."
Alberto Alemanno voit de nombreuses zones grises. A la différence des Parlements nationaux, le Parlement européen est peu visible aux yeux des citoyens, ce qui crée une culture de l'impunité, voire pousse à adopter des comportements illégaux.
Des règles de déclarations de rencontres pour les députés
Le professeur appelle à plusieurs réformes, dont la mise sur pied d'une autorité éthique indépendante capable d'enquêter et de sanctionner.
"Il faut créer des règles de déclarations de rencontres", estime Alberto Alemanno. "Aujourd'hui, elles n'existent pas et les députés ne sont pas censés les déclarer. Cela crée un manque de traçabilité par rapport à leurs activités, cela empêche la société civile, les médias, les journalistes de comprendre quelles sont les dynamiques de pouvoir qui amènent certains députés à voter en faveur ou contre certaines propositions", déclare le professeur.
Mais les parlementaires invoquent le droit à la liberté de mandat du député. Ils estiment qu'il doit pouvoir se former sa propre opinion en rencontrant tous les acteurs. Le problème selon Alberto Alemanno, c'est qu'il n'y aurait pas de frein ni de contrôle à cette liberté.
Le lobbying reste un outil de la démocratie
Bruxelles est sans doute la capitale mondiale du lobbying. Mais vouloir le réduire pour régler les problèmes de corruption serait simpliste pour Alberto Alemanno: "Le lobbying fait partie de la démocratie, il doit être protégé et réglementé en termes de transparence. Il ne doit pas nécessairement être limité, au contraire. (...) Il doit être démocratisé, pour être démystifié, mieux entendu, mieux compris et utilisé par tous les citoyens."
Le professeur appelle à un lobbying propre, accessible, qui peut être partagé et qui permet aux décideurs de comprendre ce qui se passe sur le terrain.
Cet épisode est un virage que le Parlement européen ne doit pas rater, pour Alberto Alemanno qui s'attend à voir bouger les choses: "Nous sommes en train de vivre une sorte d'américanisation de la politique européenne et cela ne pourra qu'aboutir à des réformes concrètes qui sont demandées par l'opinion publique. (...) Tout dépendra du résultat de ces enquêtes et des révélations, (...) je pense qu'il y aura d'autres acteurs impliqués dans les prochaines heures".
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Propos recueillis par Eric Guevara-Frey
Adaptation web: Miroslav Mares