Alexandre Vautravers: "Cet hiver en Ukraine, on va alterner entre accalmies et moments de combat très intenses"
"L'Ukraine est un énorme pays. Géographiquement, il faut quand même faire la différence entre le climat du sud, qui est très tempéré et celui du nord qui est très continental et où on va bien sûr au devant de grands froids", rappelle Alexandre Vautravers.
"C'est vrai qu'il y une accalmie, une accalmie saisonnière d'une part, mais qui est aussi due aux pertes considérables. Beaucoup d'unités ont été retirées du front pour pouvoir être reconstituées avec du matériel nouveau et de nouvelles recrues (...) on va donc alterner entre des accalmies pour reconstituer les forces et des moments de combat très intenses", ajoute le rédacteur en chef de la Revue militaire suisse.
Un conflit, trois situations distinctes
De par son étendue, la ligne de front en Ukraine n'est pas quelque chose de comparable aux conflits des dernières années, voire des dernières décennies. Pour le spécialiste, il faut donc clairement découper le tout pour comprendre les logiques en cours dans cette guerre.
"La situation dans l'oblast de Lougansk (nord-est) est pratiquement figée, tout simplement car la défaite russe y a été cataclysmique", estime Alexandre Vautravers. Les Russes s'enterrent ici dans des positions défensives, et les Ukrainiens ne semblent pas vouloir continuer à aller de l'avant.
Dans le Donbass (région de Donetsk), les combats sont beaucoup plus violents. "C'est l'effort principal de la Russie. Actuellement, 35'000 militaires tentent de se frayer un chemin maison par maison dans la localité de Bakhmout. C'est un bain de sang, qu'on appelle déjà le Verdun du conflit ukrainien" *, ajoute celui qui est aussi directeur scientifique au Centre d'histoire de prospective militaire. Un bain de sang qui aurait d'ailleurs davantage une portée symbolique plutôt que stratégique pour Moscou, comme le rappelait déjà la RTS en novembre.
Reste le front sud, probablement le plus instable, le plus mobile, où d'après Alexandre Vautravers, "tous les indices" montrent qu'une offensive ukrainienne se prépare pour reprendre du territoire au sud de la ville reconquise de Kherson.
Un défi matériel et humain pour l'armée russe
Questionné pour savoir si les deux armées avaient besoin de temps pour reconstituer leurs troupes, l'expert confirme, mais juge toutefois les situations bien différentes.
"Les Ukrainiens n'ont pas de problèmes de personnel puisqu'ils ont décrété la mobilisation générale à la fin du mois de février. En termes d'équipements, il faut rappeler que Kiev a perdu pratiquement 60% de ses moyens de combat, mais ils ont été en grande partie reconstitués, soit par du matériel pris aux Russes, soit, et c'est cela qui est plus important, par du matériel occidental", décrypte-t-il.
A l'inverse, il juge que le problème des effectifs est devenu un véritable "serpent de mer" pour les forces du Kremlin. "Toutes les mesures qui ont été mises en place ne permettent pas vraiment de combler les manques et les pertes qui ont été subies. On va trouver des conscrits, mais qui ne sont pas forcément très expérimentés", ajoute-t-il.
Alexandre Vautravers estime enfin qu'il faut s'interroger pour savoir si la Russie est vraiment capable de réalimenter ses unités en matériel. Il prédit quoi qu'il en soit un conflit qui devrait durer, car d'après lui le but actuel des belligérants "n'est pas nécessairement la victoire", mais plutôt "de se retrouver dans une situation militaire favorable" à même d'être dans les meilleures conditions au moment où il faudra négocier.
* La bataille de Verdun a duré 10 mois en 1916 entre les armées allemande et française. Elle a fait 305'000 morts et 400'000 blessés.
Propos recueillis par Eric Guevara-Frey
Adaptation web: Tristan Hertig