Les yeux fermés, allongée sur un brancard, la tête légèrement penchée en arrière, Madame Liu est inconsciente. Unique signe de vie, une légère buée recouvre l’intérieur de son masque à oxygène transparent. "Son costume funéraire est prêt", lâche sa fille, résignée. "Les crématoriums n’habillent plus les corps. Normalement elle devrait être entièrement prise en charge, mais ce genre de service n’est plus garanti. La fin approche, alors je lui ai acheté des vêtements."
Admise trois jours plus tôt au service des urgences de l’hôpital Zhongshan, l'un des plus grands de Shanghai, la femme de 83 ans respirait alors difficilement. Faute de place, elle a occupé successivement un fauteuil roulant, puis un lit de camp installés dans les couloirs bondés. Couchée à côté d’un ascenseur, en face des toilettes, Madame Liu passe ses dernières heures dans un brouhaha chaotique, aux côtés de centaines de compagnons d'infortune.
Des centres funéraires surchargés
Médecins et infirmières s’affairent frénétiquement et tentent de répondre aux nombreuses sollicitations. Agés pour la plupart, des hommes et des femmes s’entassent dès l’entrée. Au fil des couloirs sinueux, les chaises roulantes font place à des couches parfois sommaires sur lesquelles gisent les cas les plus critiques, comme Madame Liu.
"Au moins, je sais à quoi m’attendre", dit sa fille. "Mon papa est décédé le 27 décembre, avant qu'on arrive. Ce Covid est si grave. Tellement de gens meurent, c’est angoissant. Imaginez, on nous a demandé de stocker le corps de mon père une semaine à la maison."
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Un témoignage loin d’être exceptionnel. Les centres funéraires sont débordés. Pour éviter les files d'attente interminables, un système d’appel a été mis en place: chaque mort se voit désormais attribuer un numéro. Les familles sont priées d’attendre d’être contactées avant de se rendre dans les différents services administratifs, pris d’assaut ces derniers jours. Certains font jouer leurs relations ou versent des pots-de-vin pour accélérer le processus. Une économie parallèle émerge peu à peu.
Craintes avant le Nouvel An chinois
A l’image de Shanghai, où les autorités estiment que près de 70% de la population aurait déjà contracté le Covid-19, le pic d’infections dans les grandes villes serait sur le point d’être atteint. Les difficultés auxquelles sont confrontées leurs infrastructures sanitaires modernes suscitent l’inquiétude des experts à l’approche du Nouvel An chinois. Des centaines de millions de personnes prévoient de rentrer dans leurs localités d'origine à l’occasion des festivités. La vague devrait alors s’abattre sur des zones rurales aux ressources parfois très limitées.
Etudiant à Pékin, Shenbing est rentré dans son Henan natal, une province pauvre du centre du pays. Atteint de la maladie, son grand-père de 76 ans a été admis dans un clinique locale la semaine dernière. Le jeune homme s’est alors précipité à son chevet: "Ses poumons ont lâché, puis son foie. Débordés, les médecins ont dit qu'ils ne pouvaient plus rien pour lui", explique-t-il, ému.
"On l'a ramené à la maison. Comme le veut la tradition, "les feuilles d’un arbre doivent tomber sur ses racines". Je l’ai vu agoniser. Couché sur le lit, il avait de plus en plus de peine à respirer. Deux jours plus tard, il est décédé", raconte-t-il.
Comme un nombre important d'aînés en Chine, le grand-père de Shenbing n'était pas vacciné. Fin novembre, seuls 40% des plus de 80 ans avaient reçu trois injections de l'un des vaccins nationaux.
Les plus vulnérables "sacrifiés"
En faveur de la levée du "zéro Covid" - une décision du gouvernement justifiée officiellement par le caractère bénin du variant Omicron, désormais décrit comme un simple grippe, voire un rhume - Shenbing critique l’absence de préparation du pouvoir.
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"Sacrifier une partie de la population pour sortir de la crise parait inévitable. Mais une gestion responsable se mesure dans les efforts consentis pour minimiser l'impact sur les plus vulnérables. Ils ont décidé de rouvrir alors que beaucoup étaient encore très exposés. Même si le gouvernement n’a pas sciemment sacrifié les plus vieux, dans les faits, le résultat est le même", estime-t-il.
Dans son allocution du Nouvel An prononcée samedi dernier à la télévision publique, Xi Jinping a souligné avoir toujours mis les gens et la vie en premier. Le président chinois a précisé que la lutte contre le Covid-19 était entrée dans une nouvelle phase remplie de défis. Des défis qui s'annoncent difficiles à surmonter pour un pan important de la population.
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Michael Peuker