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L'armée russe et le casse-tête des téléphones portables qui trahissent

L’armée russe et le casse-tête des téléphones portables
L’armée russe et le casse-tête des téléphones portables / Forum / 3 min. / le 6 janvier 2023
Géolocalisés, frappés, tués: les 89 soldats russes morts dans la nuit de Nouvel An dans une attaque ukrainienne à Makiïvka ont payé de leur vie l'usage de leur téléphone portable. Le problème touche également l'armée ukrainienne et d'autres armées dans le monde.

En Ukraine, des échanges de tirs ont été entendus sur la ligne du front malgré l'entrée en vigueur du cessez-le-feu unilatéral de 36 heures ordonné par Vladimir Poutine.

La trêve devait permettre de célébrer le Noël orthodoxe, quelques jours après l'une des attaques les plus meurtrières subie par des soldats russes, qui a fait quelque 90 morts à Makiïvka, dans l'est de l'Ukraine, le soir de Nouvel An.

Trahis par Tinder

Cette attaque meurtrière est à imputer aux téléphones portables. La géolocalisation des smartphones a en effet permis à l'armée ukrainienne de cibler son attaque. Le ministère russe de la Défense a lui-même reconnu le problème.

Mais ce n'est pas une première. Avant l'invasion de l'Ukraine, les soldats russes étaient très friands des applications de rencontres comme Tinder, ou celle dédiée aux rencontres gay Grindr. Leurs données, disponibles facilement, étaient une mine d'or pour les services secrets ukrainiens et occidentaux, qui ont ainsi pu être au fait des plans des troupes de Vladimir Poutine et de l’imminence de la guerre.

Moscou avait identifié à l'époque ces failles et ordonné à ses soldats d’éteindre leur téléphone. D'autres ont été carrément confisqués.

Les Marines et l'app de fitness

Les Russes ne sont toutefois pas les seuls à utiliser leur téléphone dans un contexte de guerre. Une situation similaire a été vécue par l'armée américaine. En 2018, une application de fitness, très utilisée par les Marines américains, dévoilait l'emplacement de sites militaires en Syrie, en Irak et en Afghanistan. Des données qui n’ont, en revanche, pas entraîné des pertes en termes de vies humaines.

Ces situations se produisent, car pour les soldats, ces données semblent anodines. Mais la guerre de l'information se joue sur tous les fronts. Les données personnelles - une photo ou un simple coup de fil - peuvent être interceptées facilement et peuvent se révéler décisives dans le rapport de forces sur le terrain.

L'armée russe semble ne pas avoir appris de ses erreurs passées et ses soldats sont toujours accros à leurs smartphones. C'est ainsi que, en toute connaissance des risques, les soldats continuent d'utiliser leurs téléphones, appellent leurs épouses, leurs petites amies, leurs parents. L'envie d'être en contact avec la maison, avec leurs familles est plus forte que tout, et les poussent à contourner les règles.

Une jeune soldate ukrainienne consulte son téléphone portable dans un village en périphérie de Kiev, le 1er avril 2022. [AP/Keystone - Rodrigo Abd]
Une jeune soldate ukrainienne consulte son téléphone portable dans un village en périphérie de Kiev, le 1er avril 2022. [AP/Keystone - Rodrigo Abd]

Appels sur téléphones volés

Une enquête du New York Times publiée jeudi révèle le fait que les Russes volent même des téléphones à des Ukrainiens, y compris ceux qu'ils ont tués. Ils se partagent les téléphones disponibles pour appeler chez eux, selon une analyse des journaux d'appels consulté par le journal américain.

Dans de nombreux appels interceptés, les soldats russes se plaignent de leurs supérieurs, disent qu’ils ne leur font pas confiance, qu'ils se sentent abandonnés. Ils ne se soucient donc plus des règles et autres interdits.

Les portables, enjeu stratégique de la guerre

Les téléphones portables sont ainsi devenus un enjeu stratégique de la guerre en Ukraine. Malgré la menace permanente, les soldats des deux armées - car c'est aussi le cas de l'armée ukrainienne - continuent de "scroller", d'envoyer des photos et d’être présents sur les réseaux sociaux.

Un général américain, cité par le New York Times, explique que les commandants sont de plus en plus conscients du fait que les jeunes membres des forces armées ont grandi avec un téléphone portable à la main et que leurs habitudes étaient profondément ancrées.

Mais ce n’est pas qu'une histoire de génération. Au moins un général russe aurait payé de sa vie après des appels non cryptés depuis son portable.

A l'intérieur de la guerre il y a donc cette autre guerre, celle contre l'utilisation des téléphones portables. Et celle-là est peut-être la plus difficile à gagner.

>> Le suivi du conflit dans le détail : Des bombardements à Bakhmout, malgré le début de la trêve annoncée par Moscou

Miruna Coca-Cozma/kkub

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