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Ce qu'il faut savoir après l'attaque contre les lieux de pouvoir au Brésil

Au Brésil, les questions sont nombreuses après le saccage des lieux de pouvoir par des émeutiers anti-Lula
Au Brésil, les questions sont nombreuses après le saccage des lieux de pouvoir par des émeutiers anti-Lula / 12h45 / 2 min. / le 9 janvier 2023
Qui se cache derrière l'attaque de plusieurs bâtiments officiels dimanche à Brasilia? La police a-t-elle été à la hauteur? Quelle est la responsabilité de l'ex-président Jair Bolsonaro? Tour d'horizon de la situation au Brésil.

Qui a participé à l'attaque?

Des partisans de l'ancien président Jair Bolsonaro ont semé le chaos dimanche à Brasilia, au coeur des principales institutions du Brésil. Ils participaient à une manifestation prévue sur plusieurs kilomètres dans les rues de la capitale avec pour objectif la place des Trois-Pouvoirs, où sont réunies les plus hautes instances démocratiques du pays.

Pour l'occasion, des dizaines de bus, convoyant plus de 4000 personnes, ont convergé vers le quartier général de l'armée entre le 7 et le 8 janvier, indique le quotidien français Le Monde. C'est là que campaient depuis des semaines de centaines de militants d'extrême droite, qui contestent le résultat de l'élection du 30 octobre, remportée par Luiz Inácio Lula da Silva avec 50,9% des voix.

Dimanche, le cortège de plusieurs milliers de contestataires s'est ébranlé vers 14h, heure locale (18h en Suisse) et une heure plus tard, la situation a rapidement dégénéré lorsque la foule, drapeaux brésiliens à la main et maillots de la Seleçao sur le dos, est parvenue à contourner la police et à pénétrer dans l'enceinte du Congrès, de la Cour suprême et du Palais présidentiel. Ces trois palais, immenses, sont des trésors de l'architecture moderne et regorgent d'oeuvre d'art. Des dégâts considérables ont été commis.

>> Notre suivi des événements : La communauté internationale derrière le président Lula après le coup de force des bolsonaristes

"Nous ne reconnaissons pas ce gouvernement parce qu'il est illégitime", a déclaré Victor Rodrigues, l'un des manifestants, à l'Agence France-Presse (AFP). "Nous ne reculons pas, nous allons partir d'ici, mais nous reviendrons", a-t-il promis.

Au total, quelque 300 partisans de Jair Bolsonaro ont été interpellées après l'assaut dimanche, et le parquet général a demandé l'ouverture immédiate d'investigations pour établir la "responsabilité des personnes impliquées" dans l'attaque de bâtiments officiels.

Comment ont réagi les forces de l'ordre?

Des zones d'ombre demeurent sur la réponse qui a été donnée aux attaques par les forces de l'ordre et les autorités locales. En prévision de la manifestation, la zone avait été bouclée. Mais les bolsonaristes sont parvenus à forcer les cordons de sécurité.

A l'évidence, les autorités ont tardé à prendre la mesure de ce qui était en train de se passer. Vers 16 heures, heure locale, la situation paraît hors de contrôle. Des images postées sur les réseaux sociaux montrent des bureaux de parlementaires saccagés. Un manifestant s'est assis sur le siège du président du Sénat, un mimétisme saisissant avec les émeutiers partisans de l'ex-président américain Donald Trump qui avaient envahi le Capitole il y a deux ans.

Les forces de l'ordre paraissent soit dépassées, soit passives. Faut-il rappeler que Jair Bolsonaro compte de fervents soutiens dans les rangs de la police et de l'armée?

Des membres de la sécurité du Palais présidentiel constatent les dégâts le 9 janvier 2023. [AFP - Carl de Souza]
Des membres de la sécurité du Palais présidentiel constatent les dégâts le 9 janvier 2023. [AFP - Carl de Souza]

Ce n'est qu'en fin d'après-midi, vers 17 heures, que la police de Brasilia semble reprendre les choses en main, rejetant les manifestants hors des lieux de pouvoir à l'aide de véhicules blindés, chevaux, gaz lacrymogènes et bombes assourdissantes tirés depuis des hélicoptères. Une heure plus tard, la situation semble se stabiliser et Lula prend la parole depuis Araraquara, dans l'Etat de Sao Paulo, où il s'était rendu après des inondations.

Le président brésilien condamne fermement l'invasion des lieux par des "vandales fascistes" et décrète une "intervention fédérale" pour reprendre en main la sécurité de la capitale. Concrètement, cela permet de placer les forces de l'ordre locales sous le commandement des forces fédérales.

Personne ne fait confiance au gouverneur de Brasilia Ibaneis Rocha, qui a sous ses ordres 10'000 hommes, chargés du maintien de l'ordre dans la capitale, et qui a présenté ses excuses au président par vidéo. L'homme, un ancien allié de Jair Bolsonaro, sera ensuite suspendu de ses fonctions dans la nuit de dimanche à lundi.

"Les putschistes qui ont promu la destruction des propriétés publiques à Brasilia sont en train d'être identifiés et seront punis. Demain, nous reprenons le travail au palais Panalto. Démocratie toujours", a encore tweeté le président de gauche, un peu plus tard, après avoir visité les bâtiments saccagés à son retour à Brasilia.

Dans l'entourage de Lula, certains reprochent désormais au ministre de la Défense, le conservateur José Mucio Monteiro, son refus de démanteler les camps de militants d'extrême droite au prétexte qu'il s'agissait de "manifestations de la démocratie". Car au sein du gouvernement les avis étaient partagés à ce sujet; le ministre de la Justice Flavio Dino les qualifiait d'"incubateurs de terrorisme".

Les forces de l'ordre ont terminé lundi l'évacuation du camp de militants pro-Bolsonaro. Une quarantaine de bus affrétés par le gouvernement ont emmené les derniers "campeurs" au commissariat de police, après une décision judiciaire rendue la veille, ordonnant le démantèlement du camp dans les 24 heures, selon le média brésilien G1.

>> Les explications d'Augusta Lunardi dans le 19h30 :

Assaut à Brasilia: les explications d'Augusta Lunardi
Assaut à Brasilia: les explications d'Augusta Lunardi / 19h30 / 2 min. / le 9 janvier 2023

Quel rôle a joué Jair Bolsonaro?

L'ancien président Jair Bolsonaro, qui se trouve aux Etats-Unis, où il est parti deux jours avant l'investiture de Lula, se refusant à remettre l'écharpe présidentielle à celui qui l'a défait d'une courte tête à la présidentielle d'octobre, a réagi d'une façon jugée "molle" aux événements dans son pays.

Dans une série de tweets, il a condamné dimanche sans fermeté "les déprédations et invasions de bâtiments publics". Mais il a aussi "rejeté les accusations sans preuve" de son successeur, selon qui il aurait encouragé les violences.

Le scénario d'une prise du Capitole à la brésilienne était redouté dans le pays après le résultat serré entre les deux candidats à la présidentielle. Vaincu, Jair Bolsonaro s'était muré dans le silence pendant plusieurs jours alors que ses partisans érigeaient des barrages routiers à travers le pays et en appelaient à l'intervention de l'armée. Finalement, le sortant s'était contenté de déclarer qu'il "respecterait la Constitution".

>> Lire : Le président Jair Bolsonaro s'exprime sur sa défaite électorale au Brésil et Lula avait pu être investi sans encombre le 1er janvier

Ce silence engage, aujourd'hui, aux yeux de nombreux Brésiliens, la responsabilité de leur ancien président. Mais

, laissant penser que la période de transition était terminée.

Jair Bolsonaro a remis à Donald Trump un maillot de l'équipe brésilienne à son nom lors d'une visite à Washington en mars 2019. [AP/Keystone - Evan Vucci]
Jair Bolsonaro a remis à Donald Trump un maillot de l'équipe brésilienne à son nom lors d'une visite à Washington en mars 2019. [AP/Keystone - Evan Vucci]

L'attaque de bâtiments officiels dimanche est venue rappeler la menace qui plane sur la démocratie brésilienne.  Elle met aussi en lumière les liens étroits qui existent entre les camps Trump aux Etats-Unis et Bolsonaro au Brésil. De nombreux parallèles avaient d'ailleurs été établis entre Jair Bolsonaro et Donald Trump en 2018, le premier étant même souvent surnommé le "Trump tropical".

>> Ecouter à ce sujet l'analyse dans Forum :

Trumpisme - bolsonarisme: même combat?
Trumpisme - bolsonarisme: même combat? / Forum / 2 min. / le 9 janvier 2023

Le troisième fils de Jair Bolsonaro, Eduardo Bolsonaro, élu au Parlement brésilien depuis 2014, est aussi en contact avec Steve Bannon, l'ancien stratège et conseiller de Donald Trump, qui l'a désigné représentant officiel en Amérique du Sud de "The Movement", son organisation dont le but est d'unir les nationaux populistes du monde entier.  A la vue des images de l'assaut contre le Parlement de Brasilia, ce même Steve Bannon ne cachait pas une certaine satisfaction dimanche soir, écrivant sur le réseau social Gettr: "Le criminel athée et marxiste Lula a volé l'élection et les Brésiliens le savent (...)".

Comme aux Etats-Unis, la démocratie fait face à des vents contraires au Brésil, mais comme après l'assaut contre le Capitole, elle l'a emporté. Reste à savoir quel impact cela aura sur le troisième mandat de Lula, entamé il y a tout juste une semaine.

Juliette Galeazzi

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