"Nous ne laisserons pas la démocratie nous échapper", a promis le président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva, surnommé Lula, lundi soir à Brasilia, avant de descendre la rampe du palais du Planalto, le siège du gouvernement lourdement endommagé, entouré de juges de la Cour suprême, de membres du Congrès et de gouverneurs d'Etats.
Le symbole est fort au lendemain des invasions et des saccages commis par des milliers de contestataires qui se sont emparés des lieux pendant près de quatre heures dimanche, avant que les forces de l'ordre, placées sous contrôle de l'Etat fédéral, ne reprennent la situation en main.
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Ebranlées, les institutions brésiliennes ont tenu bon. Malmenée par l'ancien président Jair Bolsonaro, qui n'a eu de cesse de mettre en doute ce système au cours de son mandat, la démocratie a survécu.
Un pacte démocratique
Habile chef d'Etat, Luiz Inacio Lula da Silva, investi en janvier pour la troisième fois à la tête de cet immense pays latino-américain, cultive son image de "père de la Nation", prônant la résilience et l'union. Au-delà du symbole, la réunion avec les principaux représentants du pouvoir politique et judiciaire a donné lieu à la signature d'une déclaration commune "en défense de la démocratie", publiée sur le compte Twitter du chef d'Etat de gauche.
"Les Pouvoirs de la République, garants de la démocratie et de la Constitution de 1988 rejettent les actes terroristes, de vandalisme, criminels et putschistes qui se sont produits hier à Brasilia", dit la déclaration. "La société a besoin de (...) sérénité (...), de paix et de démocratie".
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"C'est la formalisation d'un pacte informel qui existait déjà avant cette attaque entre plusieurs partis politiques et la Cour suprême pour défendre la démocratie brésilienne", précise le journaliste brésilien Jamil Chade, interrogé par la RTS. "Ce pacte a notamment permis de sauver la dernière élection présidentielle, puisque même le principal rival de Lula l'a soutenu", souligne-t-il.
Car la protection de la démocratie au Brésil n'est pas vraiment une préoccupation nouvelle. La société civile, composée d’ONG et de groupes de pression puissants et bien établis, a beaucoup souffert sous Bolsonaro. En Amazonie, les assassinats et les opérations de police visant les leaders de populations autochtones et les militants écologistes se sont par exemple multipliés en toute impunité. Cela a renforcé son attachement à la démocratie et son envie de se mobiliser pour la sauver.
Il y a eu des morts à cause du démantèlement de la démocratie au Brésil
Soutien international
La communauté internationale a elle aussi fortement réagi et appuyé les instances démocratiques brésiliennes. Le président américain Joe Biden a exprimé le "soutien sans faille des Etats-Unis à la démocratie brésilienne et à l'expression de la libre volonté du peuple brésilien", invitant le président Lula à Washington début février, selon un communiqué commun publié après un entretien téléphonique tenu lundi.
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"Avant cela, plus de 70 délégations étrangères ont participé à l'investiture de Lula début janvier et elles n'étaient pas venues seulement pour Lula. Elles étaient là pour soutenir la démocratie", rappelle Jamil Chade.
Le résultat serré de l'élection du 30 octobre, qui avait donné Lula gagnant à 50,9% des voix, restait en effet contesté au sein du camp Bolsonaro, donnant lieu à des barrages routiers et des campements de radicaux - désormais démantelés - d'où provenaient une majorité des contestataires qui ont pris d'assaut les lieux de pouvoir.
Un enjeu judiciaire
"La clé, maintenant, c'est la justice et le message qui sera envoyé à ces gens, qui doit être qu'il n'y a pas de place dans une démocratie pour des groupes qui veulent la détruire", juge le journaliste Jamil Chade. A ses yeux, il est également essentiel que les enquêteurs ne visent pas seulement ceux qui ont envahi les lieux, mais recherchent aussi ceux qui ont payé et conceptualisé les événements.
Dès dimanche soir, quelque 300 émeutiers ont été interpellés. Et lundi soir, 1500 bolsonaristes qui occupaient un campement au coeur de Brasilia ont été arrêtés à leur tour lorsque la police militaire et l'armée ont démantelé leur campement.
"Le pays retrouve le chemin de la normalité institutionnelle à grande vitesse (...) Les putschistes ont échoué dans leur tentative de rupture de la légalité", a déclaré lundi Flavio Dino, le ministre de la Justice de Lula, pour qui "le pire est passé".
Juliette Galeazzi/agences
Jair Bolsonaro dans une situation délicate
De nombreuses voix s'élèvent au Brésil, pointant du doigt la responsabilité de l'ancien président Jair Bolsonaro, actuellement hospitalisé en Floride pour des douleurs abdominales. Mais le leader d'extrême droite pourrait ne pas rester longtemps en exil. Plusieurs parlementaires brésiliens, mais aussi américains, demandent haut et fort son extradition.
Pour l'instant, le gouvernement brésilien temporise. "Il n'est possible de demander l'extradition d'une personne que si elle fait l'objet de poursuites pénales et l'ancien président n'est pas dans cette situation", a indiqué le ministre de la Justice Flavio Dino.
Mobilisation pour une commission d'enquête
La justice pourrait cependant rapidement rattraper l'ancien président alors que des élus du Congrès brésilien se mobilisent pour qu'une commission d'enquête sur le 8 janvier soit ouverte. L'ex-dirigeant fait en outre l'objet d'au moins quatre enquêtes judiciaires au Brésil.
Les rumeurs selon lesquelles il aurait demandé la nationalité italienne ont été démenties mardi par le ministre italien des Affaires étrangères.