"L’erreur des partis traditionnels, c’est de penser que la raison l’emportera face au populisme"
La recherche menée par le Tony Blair Institute for Global Change constate une baisse globale du nombre de leaders populistes. Exit Jair Bolsonaro au Brésil, Rodrigo Duterte aux Philippines, Gotabaya Rajapaksa au Sri Lanka, Janez Jansa en Slovénie, ainsi que Donald Trump aux Etats-Unis. Au total, sur les dernières années, quelque 800 millions de personnes en moins vivent sous des régimes populistes.
Mais la situation est plus contrastée en Europe, constate l'auteur de l'étude Brett Meyer dans Tout un monde. Pour lui, les partis populistes en Allemagne, en Autriche, aux Pays-Bas ou encore en Espagne font de très bons sondages, sans oublier la récente élection en Italie de Giorgia Meloni et celle en Suède du chef des conservateurs, soutenu par le parti d'extrême droite des Démocrates de Suède (SD).
"Pour un pays comme la Suède, je peux comprendre, car la criminalité est en hausse et elle a accueilli le plus d'immigrants par habitant de tous les pays européens au cours de la dernière décennie. L'Italie, c'est un peu plus compliqué. Il y a toujours une tendance anti-establishment dans le vote italien et Giorgia Meloni en a bénéficié", analyse Brett Meyer sur ces deux cas particuliers. Le chercheur n'a toutefois pas vraiment d'explication pour les autres pays.
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L'exercice du pouvoir est un test
Pour les dirigeants populistes, l'exercice du pouvoir est un véritable test de compétences avec des résultats parfois variables. La situation a par exemple été catastrophique sur le plan économique au Sri Lanka. Mais en Hongrie, le gouvernement de Viktor Orban conserve le soutien d'une majorité de la population et se maintient facilement au pouvoir depuis 2010.
"Les populistes promettent beaucoup, ils font parfois de la démagogie. Ils critiquent radicalement tous les partis traditionnels qui ont été au pouvoir et pourtant, ils aspirent à y arriver aussi. Quand ils y parviennent, ils sont devant une alternative: peuvent-ils honorer leurs promesses ou pas? Est-ce qu'ils vont bousculer les institutions démocratiques ou pas?", relève Marc Lazar, directeur du Centre d'histoire de Sciences Po à Paris, spécialiste du populisme.
Et d'exemplifier: "Du côté polonais et hongrois, les populistes restent au pouvoir. Ils gagnent des élections. Ils les perdent au niveau local, mais conservent le pouvoir, sachant aussi qu'ils réduisent les libertés, qu'ils réduisent le pluralisme politique. Ils contrôlent les médias et l'appareil judiciaire. C'est ce qu'on appelle de plus en plus les démocraties 'illibérales'. Dans l'UE, cela ouvre une grande question: faut-il prendre des sanctions pour non respect de l'Etat de droit? La Pologne est en train de reculer, mais pas la Hongrie."
Les populistes n'ont pas forcément besoin d'être au pouvoir pour avoir un impact sur la politique du pays, constate Benjamin Biard, chercheur au Centre de recherche et d'information socio-politiques (CRISP). "On a pu démontrer qu'un certain nombre de partis de l'opposition, même s'ils sont parfois très faiblement représentés au sein d'une assemblée parlementaire, arrivent eux aussi à exercer une influence assez considérable en termes de politiques publiques."
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"Donald Trump a été battu, mais pas le trumpisme"
L'influence et les traces laissées par les thèmes populistes sont des éléments fondamentaux à analyser, selon Marc Lazar. "Donald Trump a été battu, mais le trumpisme n'est pas mort par exemple. Il y a toute une partie de l'opinion qui se reconnaît encore dans toutes les idées, dans la manière de faire de la politique qu'avait Donald Trump. Ils sont presque en train de gagner une certaine bataille culturelle. Ces idées imprègnent progressivement, avec cette vision justement d'une démocratie immédiate - au sens de l'urgence - représentée par un leader qui incarnerait le peuple. Tout ça est en train de se distiller et de se propager. C'est donc un défi pour les partis traditionnels, pour la démocratie."
Les démocraties libérales sont fatiguées, mais elles ont une capacité de résilience
Les partis dits traditionnels ont-ils appris la leçon et sont-ils davantage à l'écoute des préoccupations qui ont fait le terreau des mouvements populistes? "Pas vraiment", selon Marc Lazar. Face à la défiance politique, les réponses des partis ne sont pas toujours à la hauteur, précise-t-il.
"La défiance politique est fondamentale. Il faut résoudre les causes économiques et sociales qui permettent aux populistes de se développer. Il faut résoudre ces questions identitaires et culturelles qui obsèdent les Européens, comme le modèle d'intégration. Les démocraties libérales sont fatiguées, mais en même temps, elles ont une capacité de résilience, on l'a vu récemment avec l'élection de Lula à la place de Bolsonaro. Il y a des capacités de défense, mais ce qu'il faudrait, ce sont des capacités offensives", explique Marc Lazar.
Des pistes pour lutter contre le populisme
Il n'existe pas de recette miracle pour lutter contre le populisme, mais Benjamin Biard évoque deux exemples: "Il y a des pistes qui ne visent pas à lutter contre le style populiste, mais contre les idéologies qui les portent, par exemple d'extrême droite. La Belgique a mis en place un cordon sanitaire politique et médiatique. Les principaux médias audiovisuels ne reçoivent pas de représentants de l'extrême droite pour des débats ou des émissions. Il y a aussi une nécessité de décoder davantage les discours des populistes et de démasquer les propositions qui sont faites avec un objectif de tromper à des fins électorales."
La pire erreur des partis traditionnels, c'est de penser que de toute façon la raison l'emportera
Reste une difficulté supplémentaire pour les partis traditionnels: les mouvements populistes ont évolué, détaille Marc Lazar sur l'antenne de la RTS. "Ce n'est plus le populisme du passé, où les populistes voulaient abattre la démocratie. Là, ils se présentent comme les meilleurs démocrates. Ils expriment justement une demande de participation, de proximité d'une partie des électeurs avec les responsables. Si les démocraties ne sont pas capables de répondre à cela, le populisme prospérera".
Et le chercheur de Science Po Paris de conclure: "Je crois que la pire erreur des partis traditionnels, c'est de penser que de toute façon la raison l'emportera face à l'émotion qu'incarnent les populistes. Le défi populiste suppose une grande transformation de nos démocraties, qu'elles soient justement plus démocrates avec une classe politique exemplaire, intègre et honnête."
Sujet radio: Patrick Chaboudez
Adapatation web: Jérémie Favre
Le populisme n'est pas une idéologie, mais plutôt un style de communication
Populisme, nationalisme identitaire, extrémisme de droite ou de gauche sont autant de notions qui se confondent ou qui se recouvrent parfois. Pour Benjamin Biard, le populisme peut être défini comme suit: "C'est un style politique fondé sur l'appel au peuple, ainsi que le culte et la défense du peuple. Le terme est compatible en principe avec toutes les grandes idéologies", précise-t-il.
"C'est important parce que cela signifie que le populisme, n'est pas - à mon sens - une idéologie. C'est un style de communication qui peut être mobilisé par des acteurs politiques, développant eux-mêmes des idéologies très variées. Ils recourent à un antagonisme entre un peuple, qui est considéré comme homogène et qui serait paré de toutes les vertus, et des élites politiques, économiques, culturelles, financières ou même médiatiques, qui elles seraient parées de tous les vices et gouverneraient dans leur propre intérêt", précise encore le chercheur du CRISP, à Bruxelles.
Deux variantes
Le populisme est surtout anti-système. Brett Meyer distingue deux variantes principales: le populisme culturel et socioéconomique.
"Avec le populisme culturel, le 'vrai peuple', ce sont ceux qui font partie de la religion et de l'ethnie majoritaire du pays. Et ceux qui ne sont pas inclus dans le vrai peuple, ce sont les autres: les immigrés, les personnes de religions minoritaires", résume Brett Meyer.
"Et dans le populisme socioéconomique, le 'vrai peuple' est celui qui travaille dur, les ouvriers pauvres. En Amérique latine, c'est le cas de beaucoup de gens des zones rurales. Les outsiders: ce sont les élites internationales, les grands intérêts financiers, les États-Unis, les sociétés multinationales, mais aussi, en gros, les capitalistes du pays."