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Valérie Niquet: redevenir une superpuissance militaire "n'est pas un scénario recherché" par le Japon

Le Premier ministre du Japon Fumio Kishida lors d'une conférence de presse à Tokyo, le 16 décembre 2022. [AFP - David Mareuil]
Le Japon est de retour / Tout un monde / 10 min. / le 11 janvier 2023
A première vue, le Japon semble de retour sur la scène stratégique internationale. Mais la politologue Valérie Niquet a mis en garde contre les apparences cette semaine dans Tout un monde. Annoncer une hausse du budget de la défense est à ses yeux surtout un gage de bonne volonté envers l'allié américain, mais rien ne dit qu'elle se traduira dans les faits.

"Japan is back", le Japon est de retour, avait déclaré le Premier ministre d'alors Shinzo Abe en 2013 lors d'un discours prononcé aux Etats-Unis, alors qu'il menait une politique de relance économique.

Son successeur Fumio Kishida a entamé lundi une tournée internationale en France, Italie, Royaume-Uni, Etats-Unis et Canada, car le Japon assure cette année la présidence du club de pays industrialisés G7.

En décembre, Tokyo annonçait le plus grand renforcement militaire du Japon depuis la Seconde Guerre mondiale. A la clé, un quasi doublement de son budget de défense et une révision de sa doctrine, dont l'instauration d'une "capacité de contre-attaque". La tournée internationale du Premier ministre a d'ailleurs de forts accents de défense et de sécurité.

L'héritage de Shinzo Abe

Le mouvement a commencé au milieu des années 2010, lors du mandat de Shinzo Abe, a expliqué mercredi dans l'émission Tout un monde Valérie Niquet, spécialiste de l'Asie à la Fondation pour la recherche stratégique, une institution basée dans la région parisienne. L'objectif est de "remettre le Japon au cœur des enjeux stratégiques, notamment régionaux, face à la Chine par exemple", indique la politologue française. Tokyo doit former de nouvelles alliances et donner plus de moyens, bien que toujours limités, à ses forces d'autodéfense.

Fumio Kishida, à la tête du gouvernement depuis octobre 2021, poursuit ce mouvement. "L'une des raisons essentielles est de satisfaire les proches d'Abe au sein du Parti libéral-démocrate, qui trouvaient que Kishida était un peu trop mou sur les questions stratégiques, notamment face à la Chine. Il doit donc donner des gages en la matière", analyse Valérie Niquet. "Par ailleurs, il faut aussi satisfaire l'allié américain qui attend fermement que le Japon s'engage un peu plus", poursuit-elle. Les Etats-Unis souhaitent que l'archipel nippon assume un peu plus le fardeau financier de sa propre défense.

>> Lire à ce sujet : Le Japon bombe le torse face à la Chine en révisant sa doctrine de défense

La spécialiste de l'Asie soulève un autre facteur, plus circonstanciel, au changement stratégique du Japon: la présidence du G7 en 2023. "Pour le premier ministre Kishida, c'est aussi l'occasion de donner plus de visibilité au Japon, et également à lui-même: il fait face à des difficultés internes très importantes, au sein du parti et en termes de soutien dans l'opinion publique. C'est aussi sa propre situation qui est en jeu. L'idée de mettre un peu plus de Japon sur la scène internationale avec cette grande tournée répond un peu à toutes ces attentes."

Fumio Kishida a signé un accord militaire avec le Premier ministre britannique Rishi Sunak le 11 janvier 2023, dans le cadre de la tournée du dirigeant japonais dans les pays du G7 (lire le second encadré). [AFP - CARL COURT]
Fumio Kishida a signé un accord militaire avec le Premier ministre britannique Rishi Sunak le 11 janvier 2023, dans le cadre de la tournée du dirigeant japonais dans les pays du G7 (lire le second encadré). [AFP - CARL COURT]

Des paroles difficilement traduisibles en actes

Valérie Niquet souligne qu'il faut distinguer les déclarations de leur réalisation. L'annonce d'une nouvelle doctrine militaire et de l'augmentation du budget de la défense est "destinée à donner un message positif, notamment à l'allié américain, sur la volonté du Japon de faire véritablement plus d'efforts", avance la politologue. "La réalité aujourd'hui, c'est qu'il y a des débats infinis sur la manière dont tout ceci pourrait être financé et que l'essentiel de l'augmentation passera sans doute par des jeux budgétaires", soutient-elle. Un exemple de tour de passe-passe: inclure le budget des garde-côtes civils dans le budget de la défense.

La politologue doute également de la capacité de frappes préventives sur l'ennemi en cas de menace imminente de tir de missiles sur l'archipel. "Là aussi, aucun moyen n'existe pour le moment, ni en termes de missiles, ni de ciblage, ni d'observation, ni surtout des lieux où pourraient être installées ces bases de missiles. Dans l'histoire, il est déjà arrivé que le Japon veuille disposer de nouveaux systèmes anti-missiles sur son sol. Cela n'a jamais été mis en place, parce que les préfectures, les autorités locales ou la population refusent de voir des bases de missiles sur leurs territoires, qui pourraient les transformer en objectif pour une force ennemie, par exemple la Chine ou la Corée du Nord", détaille l'experte en stratégie.

Pas de désir de superpuissance militaire

Valérie Niquet pense que le peuple nippon ne voit pas d'inconvénient à ce que le pays nourrisse des ambitions internationales dans le domaine civil, voire même dans le domaine de la défense, tant que les Etats-Unis garantissent sa protection. "En revanche, la très grande majorité de la population japonaise n'est absolument pas favorable à voir le Japon réémerger comme superpuissance militaire menant toutes les actions possibles dans sa zone. Ce n'est pas un scénario qui est acceptable au Japon", note la politologue. Et d'ajouter: "Ce n'est pas non plus un scénario recherché par les autorités japonaises."

Propos recueillis par Eric Guevara-Frey
Adaptation web: Antoine Michel

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Position anti-nucléaire pas partagée par les autres membres du G7

Le Japon dit se renforcer militairement, mais reste toutefois traumatisé par l'arme atomique. Le premier ministre Fumio Kishida veut mettre l'accent sur le désarmement nucléaire lors de sa présidence du G7. Le sommet du club se tiendra en mai dans un lieu hautement symbolique: la ville d'Hiroshima, détruite le 6 août 1945 par le feu atomique américain. La cité est par ailleurs sa circonscription électorale en tant que parlementaire.

Arrivera-t-il à convaincre? Les autres Etats ne soutiennent pas la position anti-nucléaire japonaise, remarque Valérie Niquet. D'ailleurs, le pays du Soleil-Levant considère toujours que la dissuasion nucléaire "reste essentielle dans un monde qui est loin d'être apaisé", ajoute la spécialiste.

Tokyo signe un accord militaire avec Londres

Fumio Kishida et son homolgue britannique Rishi Sunak ont signé mercredi un accord rapprochant leurs armées, dans le contexte d'ambitions chinoises croissantes en Asie-Pacifique.

Signé à la Tour de Londres, ce traité critiqué par Pékin est à la fois le signe de l'intérêt grandissant de Londres pour l'Asie-Pacifique et des efforts du Japon pour renforcer ses alliances face notamment à la Chine, qualifiée par le gouvernement nippon de "défi stratégique sans précédent" pour sa sécurité.

Grâce au traité signé mercredi, le plus important en matière de défense entre les deux pays depuis l'alliance anglo-japonaise de 1902 contre la Russie, le Royaume-Uni devient le premier pays européen à disposer avec le Japon d'un "accord d'accès réciproque". Il permet aux armées britannique et japonaise de se déployer sur le territoire de l'autre, et plus généralement établit un cadre juridique pour leur coopération.

afp