Tirana Hassan: "Le même type de réponse qu'en Ukraine doit être apporté pour d'autres crises"
Malgré l'océan des souffrance mondiales et la "litanie d'abus" commis en matière de droits fondamentaux dans le monde en 2022, la juriste, qui a repris la direction de Human Rights Watch (HRW) l'an dernier, observe des motifs de se réjouir ou en tout cas de garder espoir.
"Il ne fait aucun doute que l'année 2022 a été marquée par des défis en matière de droits humains, de la guerre en Ukraine à la détention de plus d'un million de Ouïghours dans la région chinoise du Xinjiang, en passant évidemment par la régression flagrante des droits des femmes en Afghanistan", déclare-t-elle.
"Mais nous avons observé aussi, face à de telles souffrances humaines, qu'il y a eu des changements de pouvoir dans le monde entier: les gens se soulèvent, comme nous l'avons observé l'année dernière. Cette année, nous avons également vu de nouveaux gouvernements et de nouvelles alliances monter au créneau pour défendre les droits de l'Homme et en devenir des fers de lance. 2022 nous a montré que nous ne vivons plus dans un monde divisé entre gentils et méchants", souligne Tirana Hassan.
Et la directrice d'HRW d'ajouter: "Il existe le potentiel d'un monde où tous les États prennent au sérieux leurs obligations en matière de droits humains et sont proactifs, non seulement pour les défendre sur leur territoire, mais aussi pour travailler ensemble afin de les protéger à l'étranger".
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"Crimes contre l'humanité" commis au Xinjiang
La répression chinoise envers la minorité ouïghoure est l'un des sujets majeurs de l'année écoulée. Un rapport explosif très attendu des Nations unies a finalement été publié l'été dernier après avoir été repoussé. Il est salué par HRW, pourtant régulièrement critique envers le système onusien. "Nous avons apprécié le fait que le rapport ait été rendu public", indique Tirana Hassan.
"L'attente a été trop longue, mais le fait qu'il ait été publié nous a permis de constater que le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'Homme a fait exactement les mêmes constats que des organisations comme Human Rights Watch, à savoir que des crimes contre l'humanité, parmi les violations les plus graves au monde, sont commis* au Xinjiang par le Parti communiste chinois."
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Réponse exemplaire au conflit ukrainien
L'année écoulée a également vu le retour de la guerre sur le sol européen, avec l'invasion de l'Ukraine par la Russie et des régressions des droits humains totalement inédites. Mais la directrice de HRW remarque aussi une réponse internationale qui pourrait servir de modèle. L'ONG se félicite notamment de la rapidité avec laquelle la Cour pénale internationale a été saisie et avec laquelle l'Union européenne, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et d'autres gouvernements ont imposé des sanctions sans précédent à l'encontre de Moscou.
"La réponse à l'invasion de l'Ukraine montre ce qui est possible lorsque les gouvernements s'unissent pour lutter contre les prises de pouvoir autocratiques et les violations généralisées des droits de l'Homme. Et cela restera. C'est là le message important: nous savons ce qui est possible et nous devons exiger le même type de réponse à d'autres crises, de l'Iran à la Chine en passant par l'Éthiopie", souligne Tirana Hassan.
Deux poids, deux mesures
La dirigeante rappelle que la réponse internationale "aussi coordonnée" à ce conflit est inédite, et appelle désormais à en faire de même pour tous les autres pays où des violations des droits humains sont attestées.
Le rapport d'HRW dénonce ainsi le "deux poids, deux mesures" souvent à l'oeuvre face aux violations des droits humains commises dans le monde. Sa directrice appelle notamment la communauté internationale à "continuer de pousser" pour que les responsables des exactions commises dans la région du Tigré, en Ethiopie, rendent des comptes dans la foulée de l'accord de paix conclu en novembre dernier.
Le rapport mondial de HRW est disponible depuis jeudi matin. Le document, long de 714 pages, dresse un état des lieux du respect des droits humains, pays par pays.
Propos recueillis par Benjamin Luis
Adaptation web: ami
*Le rapport de l'ONU est moins affirmatif, en évoquant seulement de possibles crimes contre l'humanité. "L'ampleur de la détention arbitraire et discriminatoire de membres des Ouïghours et d'autres groupes à prédominance musulmane [...] peut constituer des crimes internationaux, en particulier des crimes contre l'humanité", est-il écrit dans le document.
Hypocrisie de Joe Biden dénoncée
Des "retournements de veste inquiétants" ont été observés chez les dirigeants, remarque par ailleurs Tirana Hassan: "L'une des évolutions les plus inquiétantes dont nous avons été témoins en 2022 est le fait que des dirigeants comme Joe Biden - et d'autres - sont prêts à renoncer à leurs engagements et obligations en matière de droits humains pour des gains politiques à court terme, tels que l'obtention d'accords énergétiques."
Elle dénonce ainsi "l'hypocrisie de l'administration américaine", qui a été "particulièrement visible" au sujet de l'Arabie saoudite, considérée comme "un État paria après le meurtre de Jamal Khashoggi". Mais sur fond de crise énergétique, Joe Biden s'est rendu à Ryad en juillet pour serrer la main au prince MBS.
"Il ne s'agit pas seulement de l'hypocrisie de Biden. Il s'agit également d'un message très dangereux envoyé à un autocrate dont les violations systématiques des droits des femmes et l'écrasement de la dissidence dans le pays sont documentés", déplore la dirigeante humanitaire. "Biden qui reconnaît et adoube MBS sans lui réclamer des comptes ne fait qu'encourager le régime saoudien et lui permettre de continuer."