Dans un petit appartement du 11e arrondissement de Paris, Moawia et Mohamed Nour, deux jeunes Syriens, ont les yeux rivés sur un ordinateur portable, examinant les avancées sur le terrain.
Située sur une colline de la province d'Idlib, une surface de 3 hectares vient d'être achetée par le collectif Al Beyt grâce aux fonds collectés depuis un peu plus d'un an. Jusqu'ici terrain agricole, la parcelle doit en premier lieu être rendue accessible par une route.
"Ce n'est pas un grand truc, mais pour nous, c'est important de montrer aux Syriens que même si on est en exil, on peut faire ça, on peut construire un lien avec les gens d'Idlib et ne pas oublier notre cause", explique Moawia Nour, l'un des fondateurs du collectif. "Sur ces trois hectares, on va construire 15 maisons."
Pour construire ces 15 maisons, le collectif va avoir besoin de 25'000 euros au total. Al Beyt prévoit aussi d'ouvrir plus tard une petite fabrique de briques pour faire travailler les familles accueillies.
Pilotage à distance
L'achat du terrain, la construction des maisons, tout se fait à distance, dans des conditions parfois compliquées.
Réfugié politique en France, Moawia Nour ne peut plus se rendre dans son pays. Al Beyt travaille donc avec des Syriens à Idlib, et s'appuie également sur l'aide de Français activement engagés. La volonté du collectif est claire: offrir une aide plus directe aux familles de déplacés sans faire appel à des ONG.
Mohamed Nour, 21 ans, est aujourd'hui encore très marqué par son exil forcé alors qu'il était adolescent. Pour lui, agir directement est un devoir.
C’est de Syriens à Syriens. Ce qu'on veut, c’est de l’action immédiate et concrète sur place.
"C'est de Syriens à Syriens. C'est vraiment aider directement sans passer par des formalités. Ce qu'on veut, c'est de l'action immédiate et concrète sur place. Ce qu'on a vécu est horrible et on gardera des séquelles, mais il y a d'autres personnes qui vivent encore cela. Et on n'a pas le droit de se sentir faible, alors qu'eux gardent un espoir sur place. De quel droit est-ce que moi, aujourd'hui Franco-Syrien, je peux dire que je me sens faible alors que je vis en sécurité et que j'ai toutes les armes pour surmonter ce que je traverse? De quel droit je peux me dire: je vais mettre ça de côté, je vais me protéger?"
La province d'Idlib est une zone aujourd'hui sous le contrôle de Hayat Tahrir el Sham, un groupe classé comme terroriste par l'ONU. Mais pas question de l'abandonner, pour Moaiwa Nour.
"Le problème, c'est que quand on parle d'Idlib, les gens pensent qu'il n'y a là-bas que le groupe terroriste et pas autre chose. Et c'est exactement le problème. Nous, on travaille pour les Syriens. Les Syriens, ce sont nos amis, nos familles, et ils habitent encore là-bas!", défend l'activiste.
Aide transfrontalière toujours en sursis
Depuis quelques années, cette aide directe se développe pour faire face au désastre humanitaire qui se joue en Syrie. Ibrahim Atia, activiste, collecte lui aussi des fonds pour des cas spécifiques de familles dont les besoins sont urgents. "Nos collectes de fonds ne suffisent bien sûr pas à améliorer la situation générale des gens à Idlib. Nous agissons dans l'urgence à notre petit niveau. Et nous ne pouvons couvrir les besoins d'une famille que pour un mois maximum", détaille-t-il.
Le rôle des ONG est évidemment essentiel, souligne l'activiste. "Actuellement, aucune collecte individuelle ne peut remplacer le travail d'une organisation humanitaire à l'intérieur de la Syrie."
L'autorisation temporaire de faire entrer de l'aide humanitaire depuis la Turquie sans l'aval du régime syrien expirait le 10 janvier. La veille, le Conseil de sécurité de l'ONU a prolongé la résolution pour six mois supplémentaires, ce qui évite une aggravation majeure de la crise humanitaire pour les quatre millions de personnes dépendantes de cette aide humanitaire dans le nord-ouest de la Syrie.
>> Lire : Première réussite suisse au Conseil de sécurité de l'ONU pour l'aide à la Syrie
Céline Martelet/Hussam Hammoud
Adaptation web: Katharina Kubicek