C'est le monde à l'envers: il y a quelques semaines, la directrice de la compagnie aérienne néerlandaise KLM encourageait ses clients à prendre le train plutôt que l'avion. Et dans l'histoire de la compagnie, ça n'était pas une première.
Ce qui appelle une question: est-il possible d'intégrer véritablement transport aérien et ferroviaire? Imaginer une synergie entre train et avion, au-delà des quelques expériences ponctuelles dans lesquelles des compagnies aériennes vendent déjà des billets de train? De quoi peut-être alléger plus efficacement l'empreinte carbone, l'avion étant plus polluant que le train, qui est beaucoup plus efficient d'un point de vue énergétique par passager que l'avion.
Ces modèles pourraient se développer sous l'effet d'une directive européenne visant à supprimer les vols courts. La France est le premier pays européen à avoir pris des mesures concrètes. Dans sa loi climat, elle interdit les liaisons aériennes s'il existe une alternative ferroviaire de moins de 2h30. Avec le développement des TGV notamment depuis Rennes, Bordeaux et bientôt Toulouse vers Paris, le nombre de vols entre ces aéroports et la capitale se réduisent automatiquement.
De telles directives pourraient permettre à ces deux modes de transports de mieux collaborer. Dans les faits, il existe déjà des offres combinant le train et l'avion. La SNCF par exemple a conclu un accord avec une douzaine de compagnies aériennes permettant d'acheter un billet combiné à partir d'une vingtaine de villes françaises pour rejoindre l'aéroport Charles de Gaulle et ensuite prendre un vol long courrier. Swiss propose également des billets qui incluent des trajets en train de villes suisses jusqu'à Zurich, et Lufthansa de Zurich à Munich en vue de voler vers d'autres destinations. Mais ces offres restent très confidentielles.
>> Lire aussi : L'offre combinée de Swiss et des CFF donne lieu à certaines incohérences
Obstacles à l'intermodalité
Pendant des décennies, les systèmes ferroviaires et aériens se sont développés de façon totalement indépendante. Nombre d'aéroports n'ont d'ailleurs pas de liaisons de train directes. Et les passagers doivent souvent se rendre dans un guichet pour profiter de ces offres. Ils continuent donc à réserver des billets séparés. Le prix de ces services n'est en outre pas toujours concurrentiel. Il y a aussi des questions d'assurance en cas de retard et il subsiste des obstacles très concrets à une vraie intermodalité.
"C'est très compliqué pour deux raisons: la première est le transport des bagages dans le train. Les trains ne sont pas organisés pour cela. Et la deuxième raison, ce sont les contrôles de sécurité", indique Yves Croset, professeur d'économie à Sciences po Lyon et membre d'un laboratoire sur l'aménagement et le transport. "Comme il n'y a pas de contrôles de sécurité dans le train, vous devez obligatoirement repasser un contrôle de sécurité dans l'aéroport et vous n'êtes donc pas immédiatement orienté vers l'avion que vous devez prendre", explique le spécialiste au micro de Tout un monde.
Les compagnies ferroviaires, à l'instar de la SNCF, offrent parfois la possibilité de se faire livrer ses bagages depuis son domicile jusqu'au point d'arrivée. "Mais livrer à un point d'arrivée qui serait le départ d'un avion est très compliqué, parce que les bagages doivent repasser eux aussi par le contrôle de sécurité et que les risques seraient très grands que les passagers arrivent au bon endroit, mais sans leurs bagages", note Yves Croset.
Les compagnies ferroviaires se sont concentrées sur leur marché national. Elles ont développé leur réseau à l'intérieur de leur propre pays sans vraiment se préoccuper des activités commerciales transfrontalières.
Les compagnies ferroviaires, si elles pourraient s'inspirer en matière de logistique de l'industrie du transport aérien, doivent d'abord combler un énorme retard: il est en effet déjà difficile de prendre un billet de train en ligne si l'on se rend à l'étranger.
"Les compagnies ferroviaires se sont concentrées sur leur marché national. Elles ont développé leur réseau à l'intérieur de leur propre pays sans vraiment se préoccuper des activités commerciales transfrontalières", explique Andreas Wittmer, professeur d'économie à Saint-Gall et spécialiste du secteur aérien. "Les compagnies aériennes, elles, ont dû depuis le début gérer leur logistique, leurs tarifs à l'international. Dans les petits pays comme la Suisse, où on vole majoritairement vers l'étranger, il est vital de collaborer avec d'autres compagnies aériennes, de pouvoir compter sur des accords interlignes."
Améliorer la connectivité et les voies ferrées à travers l'Europe et proposer une plate-forme de réservation en ligne au niveau européen ne serait pas un luxe, selon Andreas Wittmer, qui estime malgré tout que ce sont d'abord les compagnies aériennes qui ont un véritable intérêt à développer des offres combinées.
Pression sur les compagnies aériennes
"Les compagnies aériennes subissent une forte pression de la part de la société pour diminuer leurs émissions carbone et faire quelque chose pour l'environnement. Mais surtout, elles ont un problème de croissance, en raison de multiples contraintes dans les aéroports. Ces derniers ne peuvent plus s'étendre, n'accordent plus de nouvelles pistes d'atterrissage ou de décollage. Les créneaux horaires sont également réduits, en raison du manque de personnel qualifié. Et il y a aussi la limitation de l'espace aérien. Dans ces conditions, avoir des passagers amenés par train peut être une approche intéressante, surtout si cela leur permet de supprimer des vols court courrier."
Les vols courts ne rapportent en effet pas grand-chose aux compagnies aériennes, contrairement aux long-courrier. Agrémenter leur offre avec des trajets en train pourrait constituer un avantage.
Mais si remplacer un certain nombre de vols européens par le train peut contribuer à baisser l'empreinte carbone, ce ne sera pas forcément de manière significative. Selon les projections d'un cabinet de consultants, rapportées par le Financial Times, si tous les vols de moins de 1000 kilomètres étaient effectués par rail, cela ne diminuerait les émissions de l'aviation que de 5%.
"Dans les deux ans qui ont suivi l'ouverture de la ligne TGV Paris-Rennes, le trafic à l'aéroport de Rennes a augmenté de 30%, avec du trafic depuis Rennes vers l'Italie, l'Espagne, Marseille. L'offre aérienne se place de plus en plus sur des destinations où il n'y a pas d'offre de train", décrit Yves Croset.
Il est impératif d'aller vers une variété de transports, tout comme il est impératif d'identifier toute source qui peut contribuer à la réduction de l'empreinte carbone sur le marché.
Le trafic aérien mondial ne va donc pas cesser d'augmenter, le tendance semble amorcée. Mais plutôt que de se décourager, il faut avant tout réfléchir à une intermodalité plus large que simplement la combinaison train/avion, l'élargir aux bus ou au covoiturage, estime Matthieu Lemasson, associée au cabinet Price Waterhouse Coopers. "Il est impératif d'aller vers cette variété de transports, tout comme il est impératif d'identifier toute source qui peut contribuer à la réduction de l'empreinte carbone sur le marché."
Nouvelle motorisation, nouveaux modèles d'avions, nouveaux outils de production, tout doit donc être repensé pour diminuer de manière considérable l'impact carbone de l'aviation sur le marché.
Sujet radio: Francesca Argiroffo
Adaptation web: Katharina Kubicek