Jusqu'à présent, le paratonnerre traditionnel demeurait la protection la plus efficace contre la foudre (lire encadré). Il protège une surface dont le rayon est environ égal à sa hauteur. Toutefois, la hauteur des mâts n'étant pas extensible à l'infini, ce système n'est pas optimal pour protéger des sites sensibles occupant un large territoire, tels qu'un aéroport, un parc éolien ou une centrale nucléaire.
Pour y remédier, un consortium piloté par l'Université de Genève (UNIGE) et l'Ecole polytechnique (Paris) – en partenariat avec l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), TRUMPF scientific lasers, ArianeGroup, la société AMC et la Haute école d'ingénierie et de gestion du canton de Vaud – a développé le "Laser Lightning Rod" (LLR), un paratonnerre fonctionnant grâce à un laser infrarouge.
Rendre l'air conducteur
En générant des canaux d'air ionisé, celui-ci a permis de guider la foudre le long de son faisceau. Pointé dans le prolongement d'un paratonnerre traditionnel, il peut en augmenter la hauteur et ainsi la surface protégée: "Cet air ionisé, appelé plasma, devient conducteur électrique", explique Jean-Pierre Wolf, professeur ordinaire au Département de physique appliquée de l'UNIGE.
Le chercheur travaille depuis vingt ans sur cet appareil "unique au monde". Il pourrait servir à protéger des sites sensibles occupant un large territoire, comme les aéroports, des parcs éoliens ou encore des centrales nucléaires.
Le LLR est large de 1,5 mètre, long de huit et pèse plus de trois tonnes. Il a été testé au sommet du Säntis, en Appenzell, à 2502 mètres d'altitude, au-dessus d'une tour émettrice de 124 mètres appartenant à l'opérateur Swisscom, munie d'un paratonnerre traditionnel. Il s'agit de l'une des structures les plus touchées par la foudre en Europe.
Le laser a été activé lors de chaque prévision d'activité orageuse, entre juin et septembre 2021. Au préalable, la zone a dû être interdite au trafic aérien. L'objectif était d'observer s'il existait une différence avec ou sans le laser.
Efficace même à travers les nuages
Il a fallu près d'une année pour éplucher la quantité colossale de données récoltées. Cette analyse, publiée dans la revue Nature Photonics, démontre aujourd'hui que le LLR est capable de guider la foudre efficacement.
"Nous avons constaté, dès le premier événement, que la décharge pouvait suivre sur près de soixante mètres le faisceau laser avant d'atteindre la tour, faisant ainsi passer le rayon de la surface de protection de 120 à 180 mètres", se réjouit Jean-Pierre Wolf. "Et il n'y a aucun doute qu'on peut faire beaucoup mieux", dit-il.
L'analyse des données démontre également que le LRR, contrairement à d'autres lasers, fonctionne même dans des conditions météorologiques difficiles, en perçant littéralement les nuages. Ce résultat n'avait été jusque-là observé qu'en laboratoire.
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Consommation "raisonnable"
En outre, la consommation de l'engin est "raisonnable", de l'ordre de celle d'une cuisinière électrique, note encore le Professeur Wolf: "S'agissant de flashes lasers très brefs, on peut atteindre avec peu d'énergie des puissances-crêtes très élevées", souligne le spécialiste.
Pour le consortium, il s'agit maintenant d'augmenter la hauteur d'action du laser. L'objectif, à terme, est notamment de parvenir à prolonger de 500 mètres un paratonnerre de dix mètres.
Des essais grandeur nature devraient être menés en collaboration avec les partenaires industriels du projet, selon Jean-Pierre Wolf. Il évoque par exemple des aéroports spécialement concernés par le problème de la foudre, ou encore la base spatiale de Kourou, en Guyane française.
sjaq/ats/vajo
La foudre, un phénomène extrême
La foudre est l'un des phénomènes naturels les plus extrêmes. Brusque décharge électrostatique, de millions de volts et de centaines de milliers d'ampères, on peut l'observer au sein d'un nuage, entre plusieurs nuages, entre un nuage et le sol ou inversement, a indiqué lundi l'Université de Genève (UNIGE) dans un communiqué.
Elle provoque jusqu'à 24'000 décès par an dans le monde et cause des dégâts se chiffrant à plusieurs milliards de dollars, de la coupure de courant à l'incendie de forêt, en passant par divers dommages aux infrastructures. Depuis l'invention du paratonnerre de Benjamin Franklin en 1752 – un mât conducteur métallique relié au sol – les systèmes de protection ont peu évolué.
Un coup de foudre modelisé
Cette reconstruction en 3D modélise un coup de foudre capturé par des caméras à grande vitesse en juillet 2021:
Elle montre le moment où l'éclair a frappé la tige métallique au sommet de la tour; sa trajectoire a été guidée dans le ciel par le puissant laser LLR.
Les scientifiques ont déjà utilisé des lasers pour contrôler l'électricité en laboratoire, mais il s'agit de la première démonstration que la technique fonctionne dans des tempêtes réelles et pourrait un jour conduire à une meilleure protection contre la foudre.