Svetlana Tikhanovskaya: "Il ne faut pas considérer le peuple biélorusse comme un agresseur de l'Ukraine"
La guerre en Ukraine a fait passer au second plan la vague de protestation en Biélorussie débutée il y a deux ans et violemment réprimée. Le président Loukachenko s'est encore rapproché du Kremlin, dont il est désormais le principal allié.
Minsk soutient l’offensive contre l'Ukraine, met à disposition son territoire pour l'armée russe, mène des exercices militaires conjoints avec Moscou. Le dernier pas consisterait à impliquer directement ses troupes. Dans La Matinale de la RTS, l'opposante Svetlana Tikhanovskaya explique que tout cela affecte l'image du pays dans son ensemble.
"Après le 24 février, la Biélorussie est devenue un pays agresseur aux yeux du monde. Or le simple fait que les Biélorusses ont lutté inlassablement pour des changements démocratiques depuis deux ans dans leur pays, cela devrait contribuer à ne pas considérer le peuple comme un agresseur. Il faut sans cesse rappeler que le régime biélorusse et les habitants sont deux choses différentes."
"Au début de l'invasion de l'Ukraine, certains pays ont estimé qu'il fallait introduire une interdiction de visa pour la population biélorusse, vu que Minsk était un co-agresseur. Par miracle, nous sommes parvenus à éviter cela en expliquant que les gens ordinaires qui continuent de se battre contre le régime ne pourraient tout simplement pas fuir en cas de danger avec une telle mesure."
Le statut des réfugiés biélorusses reste précaire. Une loi promulguée il y a quelques jours par le pouvoir biélorusse permet de déchoir de leur nationalité des citoyens en exil qui auraient agi "contre les intérêts" de leur pays. Svetlana Tikhanovskaya dit lutter pour que l’Union européenne puisse délivrer des documents à ces potentiels apatrides.
Opposants à la guerre arrêtés
A l’intérieur de la Biélorussie, peu d'habitants protestent ouvertement contre la guerre. Ceux qui sont sortis dans les rues juste après l’invasion ont été arrêtés, précise l'opposante. "Pour un like sur les réseaux sociaux contre la guerre en Ukraine, on peut te poursuivre, t’incarcérer. Ou encore ce cas d’une fille qui a chanté une chanson ukrainienne dans l'espace public, son procès va se tenir bientôt. "
Nous devons préserver nos forces pour les utiliser lors de notre fenêtre d'opportunité, lorsque nous verrons que le régime tremble entièrement
"Le prix à payer pour tout discours contestataire est trop élevé - cinq, dix, quinze, vingt ans de prison. Et nous devons préserver les gens maintenant, nos forces, pour utiliser notre fenêtre d'opportunité quand le moment viendra, lorsque nous verrons que le régime tremble entièrement. Mais la lutte souterraine, elle, se poursuit. Des habitants nous envoient depuis la Biélorussie des informations sur les mouvements des véhicules militaires et des troupes, des avions. Nous avons des sources au sein des structures du régime, et nous transmettons des informations à la partie ukrainienne."
Population difficilement sondable
Exemple de cette résistance clandestine, des habitants en Biélorussie ont saboté la voie ferrée utile à Moscou pour le déplacement de ses troupes. Ils ont été condamnés le mois dernier à de lourdes peines
Il reste toutefois difficile d’évaluer ce que pense la population biélorusse dans son ensemble. Un sondage réalisé cet été par l’institut britannique Chatham House indique que seule une partie marginale - 4% de la population - serait pour s’engager pleinement dans la guerre au côté de Moscou. Mais à l'opposé, seule une minorité aussi dénonce fermement l’invasion, d’autres souhaitent la neutralité totale de la Biélorussie ou soutiennent Moscou sans vouloir s’engager.
Procès à la chaîne
Svetlana Tikhanovskaya, réfugiée en Lituanie, est elle-même inquiétée par la justice biélorusse. Son procès par coutumace s'ouvre mardi à Minsk. Poursuivie pour 10 chefs d’accusation, dont "complot visant à s’emparer du pouvoir", elle encourt jusqu’à vingt ans de prison. L'opposante dénonce une parodie de justice.
"Ce qui se passe depuis deux ans et demi défie tout entendement. Des gens sont condamnés à des peines folles sans aucun motif. J'ai appris le fait que j'allais être jugée par les médias de propagande en Biélorussie. Quand j’ai enfin reçu une lettre du tribunal de la ville de Minsk, j’ai envoyé les documents et demandé d’être mise en contact avec l'avocat qui m'avait été désigné. Jusqu'à présent, je n’ai toujours pas eu de réponse."
Le cas de Svetlana Tikhanovskaya n'est pas isolé. Plusieurs procès retentissants s’ouvrent ces jours-ci contre des journalistes, opposants et autres défenseurs des droits de l’homme. Le procès d'Ales Bialiatski, Prix Nobel de la paix l’an dernier, a notamment débuté la semaine dernière.
Sujet radio: Isabelle Cornaz
Version web: Antoine Schaub