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En Iran, "le régime s'est déjà effondré sur le plan idéologique"

Les Gardiens de la révolution iraniens ont déjà été classés "terroristes" par les Etats-Unis en 2019. [AFP - STR]
"C’est le facteur économique qui conduira le régime iranien à sa perte" / Tout un monde / 9 min. / le 18 janvier 2023
Après plus de quatre mois de contestation en Iran, le régime ne lâche rien. Le Parlement européen a officiellement demandé à l'UE d'inscrire les Gardiens de la Révolution, l'armée idéologique de Téhéran, sur la liste noire des "organisations terroristes". Une mesure qui si elle est acceptée resterait toutefois symbolique.

Environ 500 manifestantes et manifestants ont été tués depuis le 16 septembre, jour où l'on apprenait la mort de Mahsa Amini. Par ailleurs, 18 condamnations à mort ont été prononcées en lien avec les manifestations, selon un décompte de l'AFP. Plusieurs citoyens étrangers ou binationaux ont aussi été arrêtés, et parfois condamnés.

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Au coeur de la répression, on trouve le corps des Gardiens de la Révolution islamique (GRI), qui dépend directement du Guide suprême religieux. Chargée de la protection du régime, cette puissante organisation paramilitaire dispose d'un vaste réseau de renseignement et d'influence économique, en Iran comme à l'étranger. Elle est inscrite depuis avril 2019 sur la liste des organisations considérées comme terroristes par les États-Unis. Et le Parlement européen a officiellement demandé jeudi à l'Union européenne de faire pareil (lire encadré).

Si les Européens prennent cette décision, le coeur du pouvoir sera symboliquement frappé!

Clément Therme, chercheur et spécialiste de l'Iran

Si l'UE votait en faveur de cette inscription sur la liste noire des "organisations terroristes", cela aurait un effet symbolique fort en matière de relations internationales, estime mercredi le sociologue et historien des relations internationales Clément Therme, spécialiste du monde iranien.

"L'Etat profond iranien est dominé par le corps armé des Gardiens de la Révolution, en particulier par leur service de renseignement. Ils sont au coeur de l'influence régionale de la République islamique, et leur capacité de répression s'étend au territoire européen, voire américain", explique-t-il.

Donc "pour l'image et le prestige de cette grande nation, il est très clair que le coeur du pouvoir sera symboliquement frappé si les Européens prennent cette décision. C'est un message fort qui sera envoyé aux manifestants."

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Rente pétrolière vitale

Il souligne toutefois que ce ne sera pas suffisant pour faire cesser la répression quotidienne sur le terrain, car les GRI fonctionnent avant tout grâce au soutien de la Russie et aux relations économiques avec la Chine.

Pour ce diplômé de l'IHEID de Genève, il faudrait pour cela compter sur plusieurs éléments qui pourraient survenir à plus long terme, comme des dissensions internes au pouvoir - notamment sur le degré de violence de la répression - ou des difficultés sur le plan économique, qui pourraient soulever de nouveaux mouvements sociaux.

Le facteur économique pourrait conduire le régime iranien à sa perte

Clément Therme, chercheur et spécialiste de l'Iran

"Pour le moment, le régime tient sur les piliers de la répression et de la rente pétrolière", explique-t-il. C'est cette rente qui garantit sa capacité à distribuer le salaire des policiers et des fonctionnaires, et qui lui permet d'atténuer les problèmes économiques. C'est aussi pour cette raison que la décision du Parlement européen pourrait avoir un impact: les GRI sont au coeur du réseau qui permet de contourner les sanctions pétrolières.

Mais si l'économie continue de se dégrader ces prochains mois, "le facteur économique pourrait conduire le régime à sa perte", estime-t-il.

Nouvelle citoyenneté iranienne

Selon Clément Therme, il ne fait aucun doute que la contestation va perdurer. "Le régime s'est déjà effondré sur le plan idéologique!", affirme-t-il. "L'idéologie de l'ayatollah [Rouholla] Khomenei, qui date des années 1970', n'attire plus la jeunesse iranienne. C'est l'échec de l'endoctrinement", poursuit le chercheur. "Et il n'y a pas de retour en arrière possible sur le plan social."

Il estime que, pour l'heure, le régime tient grâce à la peur: "Il y a une entente sur la répression. Mais lorsqu'il faudra apporter une réponse politique aux revendications, on ne voit pas comment le régime va trouver des solutions" en dehors d'une surenchère sécuritaire.

>> Voir également l'interview de l'anthropologue Chowra Makaremi, réalisée fin décembre :

Chowra Makaremi, anthropologue, chercheuse au CNRS et réalisatrice. [RTS - RTS]
L'invitée de La Matinale - Chowra Makaremi, chercheuse en anthropologie / La Matinale / 17 min. / le 27 décembre 2022

D'autant qu'une nouvelle forme de citoyenneté iranienne et une nouvelle définition de l'identité nationale se sont développées au sein de la diaspora, observe-t-il. "Et ça, le régime ne pourra pas le contrer, parce qu'il a perdu le monopole du contrôle de l'information à la fois à l'intérieur du pays et à l'extérieur."

>> Pour aller plus loin sur le système iranien : La police iranienne des mœurs, cible des manifestations après la mort de Mahsa Amini

Propos recueillis par Eric Guevara-Frey
Texte web: Pierrik Jordan

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"La seule alternative, c'est la chute de la République islamique"

Pour Clément Therme, les mouvements sociaux actuels en Iran sont aussi étroitement liés au retour d'un dirigeant ultraconservateur, Ebrahim Raïssi, proche de la ligne des ayatollah, à la présidence du pays en 2021. Il succédait au "réformiste" Hassan Rohani.

>> Lire à ce sujet : L'ultraconservateur Ebrahim Raïssi élu président d'Iran, mais l'abstention a dépassé 50%

Le président est alors devenu "un simple exécutant" au service de la politique du Guide suprême. "Et ça a contribué à l'éclatement de ces mécontentements, parce qu'il n'y avait plus aucune forme de pluralisme au sein du régime", estime-t-il.

"L'élite au pouvoir semble ponctuellement plus soudée, mais à long terme, cette unité politique se fait au prix de l'absence de solutions face au mécontentement social", analyse Clément Therme.

De plus, le fait que le courant qualifié de réformiste ait été "complètement purgé" au sein du pouvoir contribue, en quelque sorte, à radicaliser les revendications. "Le fait qu'il n'y ait plus de possibilité d'évoluer à l'intérieur du système pousse les manifestants à demander le changement de régime. Donc on n'est plus dans un combat pour la réforme de la République islamique, elle est aujourd'hui un régime irréformable! La seule alternative, c'est la chute de la République islamique."

Le Parlement européen agit contre le Gardiens de la Révolution

Le Parlement européen a demandé jeudi à l'UE d'inscrire les Gardiens de la Révolution, l'armée idéologique de Téhéran, sur la liste noire des "organisations terroristes".

Les eurodéputés, réunis en session plénière, ont adopté à main levée une résolution invitant l'Union européenne et ses États membres à inscrire les Gardiens de la révolution islamique sur la liste de l'UE en matière de terrorisme.

Téhéran a averti qu'une telle décision aurait des "conséquences négatives", au moment où les sujets de friction avec l'Union européenne se multiplient depuis plusieurs mois sur fond de mouvement de contestation dans le pays et de guerre en Ukraine.

Le texte adopté jeudi souligne en particulier explicitement que les forces Qods et la milice Bassidj, qui sont affiliées aux Gardiens de la Révolution, doivent aussi être inscrites sur la liste noire.

Prenant en compte le fait que les Gardiens sont présents dans l'économie iranienne par l'intermédiaire de nombreuses entreprises qu'ils contrôlent directement ou indirectement, le texte réclame par ailleurs l'interdiction de "toute activité économique ou financière" avec ces dernières.

Pour Yannick Jadot, eurodéputé Europe Ecologie-Les Verts, il est temps d'ajouter "le bras idéologique et répressif du régime des Mollahs" à la liste européenne des organisations terroristes. "C'est ainsi que l'Europe sera à la hauteur du combat magnifique des Iraniennes et des Iraniens pour leurs libertés et des valeurs de l'Union", a-t-il ajouté, soulignant que la balle était désormais dans le camp du Conseil européen.

L'Iran est secoué par une vague de contestation contre le pouvoir depuis la mort, le 16 septembre, de Mahsa Amini, une Kurde iranienne de 22 ans, décédée trois jours après avoir été arrêtée à Téhéran par la police des moeurs pour avoir mal porté le voile islamique.

Plusieurs personnes ont été condamnées à mort et exécutées en lien avec les manifestations.