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Xi Jinping, fragilisé, mise tout sur la relance de l’économie chinoise

Géopolitis: Chine, le défi Covid [Keystone - Chinatopix Via AP]
Chine, le défi Covid / Geopolitis / 26 min. / le 22 janvier 2023
Depuis l'abandon brutal de sa politique zéro Covid début décembre, la Chine fait face à une flambée épidémique qui sature les hôpitaux et les crématoriums du pays. Le président chinois compte sur un redémarrage rapide de la consommation pour endiguer la colère des habitants.

En plein week-end du Nouvel an lunaire, des millions de Chinois quittent les grandes villes pour rejoindre leurs proches en zone rurale. Depuis plusieurs jours, les gares sont à nouveau bondées. Avec la levée des restrictions, les autorités chinoises s'attendent à plus de deux milliards de voyages, en voiture, en train, en avion ou par bateau, entre janvier et février. C'est deux fois plus que l'an dernier.

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En pleine flambée épidémique, Xi Jinping se fait "du souci" pour les campagnes, moins armées face au Covid, selon un media officiel. Les grandes villes sont déjà particulièrement affectées par la hausse drastique des contaminations. A Shanghai, près de 70% de la population aurait été infectée. Les hôpitaux sont saturés. Depuis plusieurs semaines, les malades du Covid sont soignés en urgence jusque dans les couloirs et les halls d’entrée. Les médicaments contre la fièvre sont rationnés faute de stocks suffisants.

"Il y a une deuxième Chine, la Chine de l'arrière-pays, dans les campagnes, où les infrastructures ne sont pas au même niveau que dans les régions côtières. Et c'est probablement là effectivement que le système de santé va souffrir le plus", commente dans Géopolitis Marc Laperrouza chargé de cours à l'EPFL et spécialiste de la Chine.

Alors que le virus se propage rapidement dans tout le pays depuis début décembre, Pékin n'a déclaré officiellement qu'une trentaine de décès pendant plusieurs semaines. Le gouvernement a finalement admis mi-janvier au moins 60’000 morts en un mois. L'OMS a une nouvelle fois déploré le manque de transparence de la Chine, en réclamant des statistiques plus fiables et plus rapidement. Mais le ministère des Affaires étrangères chinois s'est défendu d'avoir "toujours partagé les informations et les données pertinentes, dans une attitude ouverte et transparente." Plusieurs études prévoient entre 1 et 2 millions de morts du Covid en Chine dans les prochains mois.

Des seniors peu vaccinés

Parmi les populations les plus à risque, les seniors sont particulièrement vulnérables en Chine, car peu vaccinés. Par ailleurs, le vaccin Sinopharm développé en Chine a été souvent critiqué pour son manque d'efficacité par rapport aux sérums à ARN messager.

Sur l'efficacité du vaccin chinois, Marc Laperrouza tient d'emblée à nuancer: "Les études montrent qu'à trois doses le vaccin chinois est aussi efficace que les vaccins que l'on trouve en Occident. Par contre, à une ou deux doses, il est moins efficace. Toute la problématique est là", souligne le chercheur qui évoque aussi la réticence de nombreuses personnes âgées à se faire vacciner, pour des raisons socio-culturelles, la médecine traditionnelle chinoise étant privilégiée par de nombreux aînés. "On estime que seulement 40% des 80 ans et plus ont reçu trois doses. (...) S'il y a effectivement quelque chose qui n'a pas bien fonctionné, c'est la capacité du gouvernement chinois à encourager les seniors à se vacciner", poursuit-il.

Xi ébranlé

La politique zéro Covid du président chinois s’est heurtée durant des mois à un mouvement de contestation inédit depuis les mobilisations pro-démocratie de Tiananmen en 1989. Des manifestants ont même appelé, pour la première fois, à la démission de Xi Jinping.

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"L'image de Xi Jinping sort fortement fragilisée de cette crise", constate le correspondant de la RTS à Shanghai Michael Peuker. "Le zéro Covid avait été présentée comme sa politique signature. Elle devait être le symbole de supériorité du système de gouvernance chinois sur les démocraties occidentales. Et la sortie en catastrophe du zéro Covid montre un échec de la gouvernance chinoise", estime-t-il.

"Cela fait un certain temps qu'on n'a pas vu la population chinoise être mécontente et le montrer de manière aussi ouverte", poursuit Marc Laperrouza. Mais cette colère n'est pas uniquement ciblée autour du gouvernement central selon lui: "Quand les Chinois disent le gouvernement aurait pu mieux se préparer, peut-être qu'il y a aussi un mécontentement par rapport au gouvernement au niveau des provinces et au niveau municipal."

Xi Jinping démarre cette nouvelle année sur un troisième mandat à la tête de la Chine et de l'armée. En une décennie, il a renforcé peu à peu son pouvoir sur le Parti communiste, en balayant toute contestation. "Si Xi Jinping voit son image, son autorité ébranlée, son pouvoir lui reste absolument entier. Son emprise sur le Parti communiste est sans précédent depuis Mao Tsé-toung. (...) Il n'y a plus d'opposition interne, les factions adverses ont été purgées. Donc on voit mal comment il pourrait être remis en question politiquement à ce stade", ajoute Michael Peuker.

Retour à la croissance?

L'économie chinoise sort affaiblie de trois ans de confinements à répétition. En 2022, la Chine a réalisé l'une de ses plus faibles croissances en 40 ans, soit une hausse de 3%. Sur le seul mois de décembre, les ventes au détail sont en repli et la production industrielle se tasse. La population chinoise a par ailleurs baissé l'an dernier, une première depuis le début des années 1960.

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La flambée des cas de Covid complique encore un peu plus la relance tant espérée par le gouvernement chinois. Lors de ses voeux de Nouvel an, Xi Jinping a choisi un discours rassurant. "Travaillons davantage, la persévérance et l'unité sont synonymes de victoire", a-t-il assuré.

"A court terme, on s'attend à ce qu'il y ait une forme de revanche au niveau de la consommation", relève Marc Laperrouza. Un phénomène qui se produit déjà en Europe. "Les gens recommencent à prendre de l'avion, ont recommencé à consommer. Donc il n'y a pas de raisons que les consommateurs chinois ne le fassent pas. On le voit du reste avec le tourisme. On recommence à sortir de Chine." Le chercheur entrevoit également un certain optimisme du côté des investisseurs: "Beaucoup d'investisseurs étaient extrêmement impatients de retourner en Chine." Le pays devrait renouer avec une croissance plus soutenue dès l'an prochain selon lui.

"La clé pour le pouvoir, cela va être le retour à la croissance économique", souligne Michael Peuker. "Parce qu'il existe ce pacte entre les Chinois et les autorités: Vous nous donnez la croissance économique. Vous nous permettez de nous enrichir et puis en contrepartie, on se soumet à votre pouvoir. Ce pacte a été mis à mal. (...) Avec un retour de la croissance, les autorités espèrent retrouver en partie cette légitimité qu'elles ont perdue", dit-il.

L'économie mondiale compte également sur un redémarrage de la locomotive chinoise, alors que le FMI se montre plutôt pessimiste pour 2023, avec des prévisions encore plus sombres que 2022.

Mélanie Ohayon

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