A Lützerath, les opérations d'évacuation sont perturbées par des mouvements de résistance et des manifestations. Samedi dernier, 35'000 personnes, selon les organisateurs, sont venues de toute l'Europe pour défendre la zone avec des interpellations à la clé, dont celle de l'activiste Greta Thunberg.
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Les militants protestent contre l'extension d'une mine de lignite à ciel ouvert de l'énergéticien RWE, impliquant la disparition du village. Ce lieu est devenu un symbole de la résistance aux combustibles fossiles.
"Une année pour quitter les lieux"
Des villages entiers évacués pour pouvoir étendre une mine de charbon: la pratique n'est pas nouvelle en Allemagne. A une trentaine de kilomètres de Lützerath, une autre mine de charbon à ciel ouvert - nommée Hambach - s'étend sur une superficie équivalente à la ville de Lyon. Elle est connue pour être la plus polluante d'Europe.
La famille de Jürgen Gerden habitait à proximité, dans le petit village de Morschenich, voué à la démolition pour permettre à RWE d'agrandir le site d'extraction.
"La réhabilitation de Morschenich a démarré en 2010. RWE a commencé à acheter des maisons. En 2017, nous avons fini par vendre la nôtre après avoir négocié pendant deux ans. On avait une année pour quitter les lieux si on ne souhaitait pas aller dans le nouveau village baptisé 'Morschenich-La Neuve'. C'est là que la plupart des gens se sont installés. Mais comme notre exploitation agricole était ici à Düren, nous avons préféré venir dans cette localité et acheter une ferme", raconte cet habitant dans l'émission Tout un monde.
Près de 300 villages détruits
Comme à Lützerath, des militants se sont battus à Morschenich pour sauver les lieux. Leur combat a même fini par porter ses fruits fin 2018 et le projet d'extension a été abandonné. Une fin heureuse, mais cela n'est pas toujours le cas: depuis les années 1970, près de 300 villages ont été détruits en Allemagne. Tout est rasé, même des églises classées monument historique.
A terme, les habitants sont pratiquement forcés de s'exiler à cause de la loi, même si la propriété est un droit fondamental protégé par la Constitution allemande. Il existe en effet des exceptions, dont l'expropriation, comme l'explique Christophe Kern, professeur de droit à l'Université d'Heidelberg en Allemagne.
"Les expropriations sont seulement admissibles si elles servent au bien-être public et la garantie de la propriété doit être dûment prise en considération par l'autorité compétente. C'est une question qui entre dans le champ de la politique. En Allemagne, les autorités estiment qu'exploiter le charbon est nécessaire pour assurer l'approvisionnement, particulièrement en ce moment compte tenu de la guerre en Ukraine", indique le spécialiste.
Longues procédures
En cas d'expropriation, la loi prévoit une indemnité. D'un point de vue financier, l'habitant a en revanche plutôt intérêt à vendre de son plein gré.
"En pratique, très souvent, les propriétaires sont d'accord de vendre leur sol aux entreprises minières. Dans un nombre très limité de cas seulement, il faut procéder aux expropriations. Les procédures sont longues, le résultat n'est pas exactement prévisible. Et souvent les entreprises paient des dédommagements un peu plus favorables", souligne Christophe Kern.
La famille de Jürgen Gerden souhaite aujourd'hui retourner dans son village de Morschenich, qui n'est plus concerné par une destruction. Elle attend une réponse de RWE pour racheter la maison.
"Nous allons voir notre ancienne maison une fois par semaine pour vérifier que tout va bien, qu'elle n'est pas abîmée. Il y a beaucoup de vandalisme, des gens qui détruisent ou volent. Mais ce n'est pas le cas jusqu'à présent. Maintenant, nous attendons de pouvoir la racheter."
Emilien Verdon/gma
"Les Verts allemands sont devenus un parti centriste"
Si les villages rayés de la carte se sont multipliés ces dernières années, c'est aussi pour une raison politique. A Lützerath, la destruction était planifiée de longue date. Mais les dernières élections fédérales fin 2021 ont redonné espoir aux habitants, car les Verts appartiennent à la nouvelle coalition.
Problème: le plan de sortie du charbon pour 2030 a été signé par les écologistes. Un épisode vécu comme une trahison et condamnant définitivement le village.
Pour Gilbert Casasus, professeur émérite en études européennes à l'Université de Fribourg, le parti ne se positionne plus comme une force d'opposition.
"Les Verts, qui sont nés comme un parti très à gauche, sont aujourd'hui un parti centriste. A l'époque, les Verts étaient clairement contre cette expropriation, ils ont défendu les populations locales, se sont érigés contre cette politique d'extraction du lignite et du charbon. C'était un parti d'opposition, mais plus aujourd'hui", explique-t-il.