Plusieurs milliers de protestataires pauvres venus de province, beaucoup en tenue traditionnelle, ont défilé dans le centre de la capitale avec force drapeaux péruviens et aux cris de "Dina assassine", en référence aux 46 manifestants tués depuis le début de la contestation. D'importants heurts avaient lieu en début de soirée entre manifestants qui jetaient des pierres et policiers en nombre qui chargeaient avec des tirs de gaz lacrymogène, a constaté un journaliste de l'AFP.
Une manifestante brandissait une grande poupée tenant un couteau ensanglanté, affublée d'une photo de la présidente par intérim, arrivée au pouvoir après la destitution début décembre de l'ex-président Pedro Castillo. Avant ce grand rassemblement, le deuxième à Lima en quelques jours, Mme Boluarte avait une nouvelle fois tenté de désamorcer les tensions, appelant sa "chère patrie à une trêve nationale" pour "rétablir le dialogue", "fixer un agenda pour chaque région" et "développer" le pays.
"Je n'ai pas l'intention de rester au pouvoir"
"Je ne me lasserai pas d'appeler au dialogue, à la paix et à l'unité", a-t-elle ajouté lors d'une intervention devant la presse étrangère, répétant presque mot pour mot une phrase déjà prononcée le 20 janvier. "Je n'ai pas l'intention de rester au pouvoir", a-t-elle promis, assurant vouloir respecter la Constitution et se retirer lors des élections, qui ont été avancées à 2024.
"Ma démission résoudrait-elle la crise et la violence? Qui assumerait la présidence de la République?", a-t-elle interrogé. Visiblement émue, Mme Boluarte a aussi demandé "pardon pour les morts", promettant des enquêtes du Parquet pour en déterminer les auteurs. Elle a notamment assuré que des manifestants avaient été tués par des balles de type "dum-dum", munition qui n'est pas utilisée par la police. Une intervention sans effet sur les manifestants.
Appel pas entendu
"On a écouté Madame Boluarte. Sa vision est lamentable. Le peuple péruvien, nous tous, nous n'allons pas faire de trêve. Nous n'avons rien à discuter avec Mme Boluarte. Elle le sait très bien: la seule chose que le peuple veut, c'est qu'elle démissionne et qu'il y ait de nouvelles élections", affirme Carlos Avedano, 35 ans, qui porte le drapeau tricolore de Andahuaylas, épicentre des troubles en décembre.
"On ne croit plus ses paroles", dit Rosa Soncco, 37 ans, venue d'Acomayo, à plus de 3000 mètres d'altitude, dans la région de Cuzco (sud). "Il y a 50 morts. Combien de mères pleurent?". "On ne la croit pas parce qu'elle a dit que si Castillo démissionnait elle partirait. On exige: un, qu'elle démissionne; deux, changer de Congrès; puis de nouvelles élections. On veut un gouvernement de transition", affirme-t-elle.
Dans le cortège défilaient des dizaines de réservistes de l'armée portant des pantalons, des casquettes ou maillots kaki. "Les maudits (dirigeants) nous piétinent depuis des décennies mais maintenant le peuple s'est levé", affirme Crispin Quispe, réserviste de la région de Puno. "Nous avons combattu, en ayant faim, en ayant froid. Sans être payés, et maintenant ils nous piétinent. Nous sommes prêts à tous les combats", jure-t-il.
Fossé entre capitale et provinces pauvres
La crise est le reflet de l'énorme fossé entre la capitale et les provinces pauvres, qui soutenaient M. Castillo et voyaient son élection comme une revanche sur ce qu'elles considèrent comme le mépris de Lima. Dina Boluarte doit s'exprimer mercredi devant l'Organisation des Etats américains (OEA) alors que la communauté internationale et des associations de défense des droits de l'homme ont critiqué la répression, évoquant un usage "disproportionné" de la force.
"Je me présenterai devant l'OEA pour dire la vérité. Le gouvernement péruvien et surtout Dina Boluarte n'ont rien à cacher. Cinquante personnes sont mortes (en ajoutant les morts dus au blocage des routes, ndlr), cela me fait mal", a-t-elle dit.
afp/br