En Europe, l'activiste péruvienne Lourdes Huanca n’est pas forcément connue. Mais au Pérou, elle est en tête de tous les défilés depuis la destitution de l’ex-président Pedro Castillo, avec son organisation la FENMUCARINAP (National Federation of Native and Salaried Indigenous Peasant Artisan Women of Peru).
Alors que le Pérou s’enfonce dans une crise politique et institutionnelle, Lourdes Huanca s'est rendue notamment en Espagne, en France ou encore en Suisse. Cette figure du mouvement de contestation était d'ailleurs à Berne mardi, où la RTS a pu la rencontrer. Elle est ensuite allée à l'ONU à Genève ce mercredi, au moment où son pays était passé au crible du Conseil des Droits de l’Homme dans le cadre de l'Examen Périodique Universel.
L'objectif de cette tournée européenne est de chercher une reconnaissance internationale de la répression, mais aussi une aide financière pour son combat. Des fonds indispensables à la poursuite de la grève, ainsi que pour la nourriture et pour aider les manifestants blessés.
Sa version des faits
Dans la capitale suisse, Lourdes Huanca était de passage dans les locaux du syndicat Syndicom, accompagnée par des membres de la communauté péruvienne de Suisse et de plusieurs collectifs de gauche. Elle a témoigné de la répression en cours dans son pays à un petit groupe de parlementaires suisses venus la rencontrer.
Au micro de l'émission Tout un monde, elle a commencé par parler de son organisation, la FENMUCARINAP, composée uniquement de paysannes, d’artisanes de la campagne et de la ville. "Nous sommes une organisation active dans le pays tout entier, et qui compte plus ou moins 160'000 femmes et nous travaillons pour revendiquer nos droits", indique-t-elle.
A l'instar de nombre de Péruviennes, elle est d'abord descendue dans la rue pour soutenir l’ex-président, Pedro Castillo, accusé de tentative de coup d’Etat et destitué par le Congrès. Désormais sous les verrous, il est, comme elle, un ancien instituteur de la campagne. Elle estime que son élection, et sa présidence, aura ouvert une porte aux autochtones, une réponse à leurs besoins.
Cette année, cela fera 30 ans que le président Fujimori a octroyé des concessions fiscales à l’industrie minière. Et c’est cette année qu’il faut renouveler ces concessions. Et le président Castillo avait clairement dit qu’avant de le faire il fallait vérifier si ces compagnies minières avaient contaminé les fleuves du pays
Cette féministe, paysanne, écologiste et autochtone aymara dénonce donc aujourd’hui la droite politique. Lourdes Huanca estime que, pour servir ses intérêts économiques, cette droite a tout fait pour torpiller le mandat de Castillo.
"Cette année, cela fera 30 ans que le président Fujimori a octroyé des concessions fiscales à l’industrie minière. Et c’est cette année qu’il faut renouveler ces concessions", souligne-t-elle. Sauf que le président Pedro Castillo avait clairement dit qu’avant de le faire il fallait vérifier si ces compagnies minières avaient contaminé les fleuves du pays. "Aujourd'hui, nous avons des enfants malades du plomb", déplore-t-elle.
Industries minières contrariées
Pour elle, c'est ce discours de Castillo qui a contrarié les grandes sociétés transnationales, les sociétés minières et pétrolières. D’autant qu’on leur a aussi demandé de rembourser des impôts. "Ces grandes entreprises doivent des impôts à notre patrie, le Pérou. Elles ne doivent pas 100'000 francs, mais des millions", insiste-t-elle.
Ce qu'elle réclame, tout comme ses compatriotes dans la rue, tient en cinq points: la destitution de Dina Boluarte, la liberté pour le président Pedro Castillo, la dissolution du Congrès, l’instauration d’une assemblée constituante et la justice pour les 62 personnes tuées lors des manifestations qui sont, selon elle, "les héros de notre pays."
A la veille d'un nouveau grand rassemblement, la présidente Dina Boluarte a appelé cette semaine à une "trêve nationale". Mais pour Lourdes Huanca, si une porte de sortie à la crise existe, elle ne peut pas passer par un dialogue avec la présidente actuelle. "Je ne peux pas dialoguer avec un meurtrier qui a tué ma famille", image-t-elle.
>> Lire aussi : Grand rassemblement à Lima, la présidente appelle à une "trêve nationale"
Critiques du gouvernement péruvien en place
Quoi qu'il en soit, pour le gouvernement péruvien en place, cette tournée européenne passe mal. Dans un communiqué de l’ambassade du Pérou en Espagne, il dénonce une campagne de désinformation de la militante paysanne féministe, une tentative de travestir la vérité auprès des médias en Europe. Le communiqué précise en outre qu’elle est libre de donner son opinion, mais que sa famille a bénéficié d’avantages directs sous l’administration de Pedro Castillo.
Combien de morts faudra-t-il encore pour dire qu’il y a un massacre dans notre pays?
Des accusations que la militante réfute: "Combien de morts faudra-t-il encore pour dire qu’il y a un massacre dans notre pays? Je n’ai pas peur, parce que je sais quel est leur objectif. Aujourd’hui, vous assistez à une campagne de grande envergure contre moi au Pérou, où on dit que j’en profite, que je me promène avec de l’argent. Mais où puis-je trouver de l’argent pour pouvoir voyager et payer en dollars?", interroge-t-elle.
"Messieurs, pour les peuples autochtones originels, pour les Péruviennes et les Péruviens, il y a la solidarité, la sororité. Et mes compatriotes, mes frères et sœurs de Bolivie, d’Equateur, du Chili se sont joints à nous", conclut-elle.
Cédric Guigon/fgn