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"On a payé pour envoyer nos enfants à la mort", témoigne le père d'un migrant parti de Gaza

Reportage: fuir Gaza coûte que coûte
Reportage: fuir Gaza coûte que coûte / La Matinale / 4 min. / le 26 janvier 2023
En décembre dernier, les autorités palestiniennes ont rapatrié les corps de huit jeunes hommes morts en tentant de traverser la mer Méditerranée. Parmi eux, Mohammed, 22 ans, et son frère Maher, dont la dépouille n'a pas été retrouvée. Dans La Matinale, leur père a livré un témoignage poignant.

A l'entrée d'un cimetière de Rafah, une pierre tombale attire l'oeil. Elle est blanche et semble avoir été érigée la veille. Accroupi, un homme enlève la légère couche de poussière marron qui la recouvre. "Ici repose mon fils Mohammed. Il est mort noyé en mer", explique Talal.

"Mon fils était parti pour trouver une meilleure vie, pour avoir plus d'espoir, mais il n'a pas eu la chance de survivre. C'était son destin. Voilà, c'est cela son histoire", témoigne-t-il dans un reportage de La Matinale.

Le patriarche va se recueillir chaque vendredi sur la tombe de son fils aîné, décédé le 4 octobre 2022 alors qu'il tentait de rejoindre l'Italie depuis la Libye. Son embarcation a coulé au large des côtes tunisiennes. A bord, il y avait aussi son autre fils, Maher.

En décembre dernier, deux mois après le naufrage, Talal a été contacté par les autorités palestiniennes pour lui annoncer que onze corps avaient été découverts en Tunisie. "Ils nous ont demandé de faire des tests ADN, parce que les corps n'étaient pas identifiables. On les a envoyés ensuite en Tunisie", précise-t-il. Et de poursuivre: "Mon fils Mohammed était l'un de ces onze corps. Mais pas Maher. Pour le moment, nous n'avons pas réussi à le retrouver."

Kidnappés par des trafiquants

Les deux jeunes hommes avaient quitté Gaza en février 2022. Ils ont d'abord rejoint l'Egypte, avant de se rendre dans le chaos libyen. Comme des milliers de candidats à l'exil vers l'Europe, ils ont été piégés par des groupes armés et rodés au trafic d'êtres humains.

Mohammed et Maher ont été kidnappés et séquestrés pendant treize jours. Leur père a dû payer pour les libérer. "Je leur ai dit que je n'avais pas l'argent. Ils ont demandé 20'000 dinars, puis 10'000 et enfin 5000 (environ 1500 dollars) pour nos enfants. C'était compliqué à trouver pour nous. Nos enfants étaient dans une situation difficile, mais on ne pouvait pas payer", raconte Talal.

"Ensuite, on a pu parler à nos fils. Ils étaient épuisés. Alors on a réussi à trouver l'argent. Quand ils ont été libérés, on leur a dit de revenir, mais ils nous ont répondu qu'ils iraient jusqu'au bout. On a payé pour envoyer nos enfants à la mort", déplore-t-il.

L'espoir d'une vie meilleure

Mohammed et Maher ont préparé leur exil pendant sept mois, persuadés qu'ils trouveraient une vie meilleure en Europe, comme tant d'autres avant eux. En Europe, Mohammed voulait devenir électricien, alors que Maher était un excellent coiffeur. Mais dans la bande de Gaza, sous blocus israélien, les deux Gazaouis n'ont pas trouvé de travail, comme près de 70% des jeunes de la région.

"On sait que certains jeunes sont arrivés et qu'ils ont trouvé du travail. Il y a en a qui ont obtenu le statut de réfugiés ou même la nationalité. Après, ils reviennent voir leur famille à Gaza. Vous savez, les jeunes parlent beaucoup entre eux et cela en incite d'autres à partir. Pour eux, et même pour tout le monde, c'est le néant ici", constate Talal.

Depuis quinze ans, la bande de Gaza est sous blocus israélien. Plus de deux millions de personnes vivent sur ce territoire de 365 km2, à peine plus grand que la superficie de l'Ajoie (JU). Selon le dernier rapport de l'ONU, près de la moitié de la population gazaouie vit en état d'insécurité alimentaire.

Les autorités dans la bande de Gaza n'ont pas de statistiques officielles sur le nombre de personnes ayant fui cette prison à ciel ouvert ces dernières années pour rejoindre l'Europe en dépit des risques. Mais selon le Centre de recherche palestinien Masarat, environ 36'000 Gazaouis ont quitté l'enclave ces cinq dernières années pour tenter de migrer.

Témoignage recueilli par Roshdi Sarraj, Alice Froussard et Céline Martelet

Adaptation web: Jérémie Favre

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