On oublie, voire sous-estime, le pouvoir de destruction de la parole, selon les philosophes français Monique Atlan et Roger-Pol Droit, auteurs de "Quand la parole détruit". "Un équilibre s'est rompu entre une parole consciente d'elle-même et une parole plus toxique et plus négative, beaucoup plus décomplexée qu'avant", indique Monique Atlan, vendredi dans La Matinale de la RTS.
"S'il y a une menace sur la parole, une dérive, c'est parce qu'il y a la tentation de toujours privilégier ce qui va choquer en oubliant que nous sommes responsables de nos mots", décrit Monique Atlan. Elle souligne ainsi que les "mots sont des actes": peser ses mots est donc capital, selon la philosophe.
Un équilibre s'est rompu entre une parole consciente d'elle-même et une parole plus toxique et plus négative
Le mot de trop
La violence verbale est présente à l'école, au travail ou dans les relations entre les hommes et les femmes. Dans la sphère professionnelle, par exemple, les conflits entre collègues ont souvent la même origine: le mot de trop. "La violence des mots génère parfois des ruminations, un mal-être, des tensions, une perte d'estime de soi ou de confiance: c'est une cascade de violence et de coups que l'on reçoit pour une phrase", analyse Carole Wittmann, directrice de la Clinique du travail à Morges.
Pour elle, certaines personnes "ne se rendent pas compte de la manière dont elles s'expriment". "Nous sommes dans un contexte professionnel tendu. Les situations deviennent plus lourdes, plus graves. Les médiations, les enquêtes internes et les demandes de soutien explosent. Il n'y a pas un corps de métier épargné."
L'effet de groupe
Autre milieu rarement épargné et toujours plus concerné: l'école. "Cela se traduit par des élèves qui appellent l'une de leurs camarades en surpoids 'bouffetout', cite Basile Perret, maître d'enseignement à la Haute Ecole de travail social et de la santé Lausanne. Il y a donc des attaques des autres pour ce qu'ils sont, sur leur singularité."
Et de compléter: "Plus que la phrase ou le mot de trop, ce qui est inquiétant, c'est le fait que des enfants puissent entendre des injures et des moqueries de la part de groupes d'autres enfants. La répétition vient principalement du nombre et des dynamiques de groupe."
Les machines nous répondent, conversent avec nous à travers les enceintes connectées, ChatGPT. Cela change profondément la place de la parole humaine
Harcèlement, insultes en tous genre et moqueries se propagent en ligne, notamment sur les réseaux sociaux. "Les machines nous répondent, conversent avec nous à travers les enceintes connectées, ChatGPT. Cela change profondément la place de la parole humaine. Il faut absolument retrouver le sens de la parole qui est le rapport à l'autre, l'interaction. Ce qui n'est pas cette irresponsabilité automatique qui a pris la place des anciens échanges", estime le philosophe Roger-Pol Droit, tout en se défendant être réfractaire aux nouvelles technologies.
Et Monique Atlan de renchérir: "C'est comme si tout ce qui concerne les affects, les liaisons entre les idées, est mis de côté pour ce fantasme d'acquérir la technicité parfaite de la machine."
Toutefois, la parole n'a pas que des côtés sombres, puisque de destructrice elle peut devenir réparatrice, constructive et apaisante, puisqu'on est encore heureusement capable de dire: "Je me suis trompé"; "Je te demande pardon" ou "Je m'excuse".
Natacha Van Cutsem/vajo
"Quand la parole détruit", Monique Atlan et Roger-Pol Droit, Editions de L'Observatoire, 320 pages
Trouver de l'aide
...sur internet:
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Pour la promotion de la santé mentale dans les cantons latins: santépsy.ch
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Pour les enfants et les personnes adolescentes: ciao.ch
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Pour les 18-25 ans: ontécoute.ch
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Pour la prévention du suicide des jeunes: stopsuicide.ch
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Le Groupe Romand de Prévention du Suicide: preventionsuicide-romandie.ch
...par téléphone:
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143: La Main Tendue – Ecoute et conseils pour les adultes
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