Trois mois après son intronisation, la cheffe de file de Fratelli d'Italia, Giorgia Meloni, est au plus haut dans les sondages. A l'étranger, la leader d'extrême droite fait moins peur depuis qu'elle a rassuré l'Union européenne et l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (Otan) sur ses intentions, en particulier sur le soutien de l'Italie à l'Ukraine.
C'est un "parcours sans faute", estime le journal français Le Figaro. "La tigresse d'extrême droite, qu'on attendait au vu de son programme électoral, n'a pas montré ses griffes", observe pour sa part Valérie Dupont, la correspondante de la RTS en Italie. "Elle a beaucoup misé sur son image à l'extérieur et a suivi une ligne plutôt prudente à l'intérieur", poursuit-elle.
"Giorgia Meloni n'a pas fait d'erreur capitale. Elle est même parvenue à maintenir un profil crédible en unissant une forte détermination, une capacité à ne compter que sur elle-même et à se confronter à la réalité sans perdre le contact avec son électorat", admet également l'éditorialiste de La Repubblica, Stefano Folli, d'ordinaire peu tendre avec la droite au pouvoir.
Dans les pas de Mario Draghi
Loin des slogans qui ont accompagné son ascension politique, la nouvelle présidente du Conseil des ministres italien est en fait restée dans les pas de son prédécesseur, Mario Draghi, reprenant à son compte la majorité de ses politiques.
Son gouvernement reflète d'ailleurs ce choix stratégique de conserver les dynamiques internationales en place. En nommant Antonio Tajani (Forza Italia, ex-président du Parlement européen) comme ministre des Affaires étrangères et Raffaele Fitto (centre-droit) pour l'Europe, Giorgia Meloni a tenu à l'écart les éléments les plus provocateurs, évitant de les envoyer au contact des principaux partenaires européens.
Sur le plan extérieur, notamment, Giorgia Meloni a maintenu le soutien actif de l'Italie à l'Ukraine, ne cédant pas aux pressions de ses deux alliés, Matteo Salvini et Silvio Berlusconi, connus pour leurs liens passés avec la Russie de Poutine. Elle a annoncé son intention de se rendre à Kiev début 2023 pour assurer le président Zelensky de son soutien et possiblement lui faire part en personne de l'envoi -avec la France- du système de défense aérienne franco-italien Samp-T Mamba.
Sur l'Europe aussi, Giorgia Meloni semble avoir revu sa copie. Du programme populiste et souverainiste de Fratelli d'Italia, favorable à la défense et la protection de l'Italie ainsi qu'à une majeure indépendance dans les prises de décisions politiques, elle a dû se rendre à l'évidence: l'Italie est économiquement dépendante de l'Union européenne (UE), dont elle est la principale bénéficiaire avec près de 200 milliards de prêts.
>> Lire : Giorgia Meloni fait prudemment ses premiers pas à Bruxelles et que l'Italie a présenté à Bruxelles
C'est donc un budget 2023 reprenant largement les grands équilibres de son prédécesseur, avec même une certaine rigueur,
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Les rendez-vous à Bruxelles que de nombreux observateurs attendaient comme froids -voire musclés- se sont finalement passés sans heurts
"L'Italie reste un partenaire ouvert au dialogue, nettement moins vindicatif dans les faits que dans les discours de ces derniers mois", note Fabien Gibault, enseignant aux Universités de Bologne et de Turin, dans une tribune publiée par l'Institut de Relations internationales et stratégiques (Iris).
Un électorat à préserver
Giorgia Meloni n'a cependant pas renoncé à tous ses principes. Sur la question migratoire, par exemple, son gouvernement a montré les muscles dès son arrivée, rechignant à accueillir certains navires et cherchant par tous les moyens à entraver le travail des ONG actives dans le sauvetage de migrants.
>> Lire : Le gouvernement italien entrave le travail de secours en mer des ONG
"C'est aussi de la communication", souligne la correspondante de la RTS, Valérie Dupont, qui rappelle que les migrants sauvés par ces associations ne représentent que 15% des quelque 100'000 migrants qui - en moyenne - arrivent chaque année en Italie. "Si les freins mis sont réels, on est loin des promesses de campagne d'arrêter les arrivées", souligne-t-elle.
Giorgia Meloni n'a pas hésité à prendre des décisions contre son électorat
En déplacement en Libye, pour parler énergie, Giorgia Meloni n'en a pas moins évoqué un accord pour contrôler davantage les départs en mer de migrants et un "plan Mattei", qui vise à aider les pays africains à se développer et à s'enrichir. "Elle a marqué plus de discontinuité avec son passé qu'avec le gouvernement précédent", résume Claudio Cerasa du Foglio, cité par Le Figaro.
"Giorgia Meloni a pu décevoir son électorat en ne montrant pas les griffes sur certains dossiers, voire en le trahissant", souligne Valérie Dupont. Comme lorsqu'elle a accusé les pompistes - qui lui étaient plutôt favorables comme beaucoup de petits entrepreneurs - de gonfler les tarifs à la pompe, alors que ceux-ci ont augmenté début janvier à la suite de la décision, par son gouvernement, de ne pas renouveler les aides mises en place pour réduire l'impact de la hausse des prix du carburant sur les consommateurs.
La pirouette illustre à elle seule la méthode Meloni, dont la popularité tient pour beaucoup à ses promesses et efforts de communication pour se dédouaner de toute responsabilité, en détournant l'attention médiatique, ou à l'inverse pour en bénéficier, comme lors de l'arrestation de Matteo Messina Denaro, le parrain de la mafia sicilienne, après trente ans de cavale.
Dans une vidéo publiée dimanche, pour marquer ses 100 jours au pouvoir, la présidente du Conseil souligne que "dans un contexte le plus difficile depuis la guerre, l'Italie est plus solide que ce qu'on veut nous faire croire". Une façon de rappeler que l'Italie est une grande nation, une thèse chère à Fratelli d'Italia, et de s'attribuer une part de ce succès.
Juliette Galeazzi