Rues désertées et manifestations sporadiques: en Birmanie, les militants pro-démocratie marquent mercredi d'une pierre noire le deuxième anniversaire du coup d'Etat.
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Accusant la Ligue nationale pour la démocratie (LND) d'avoir truqué les élections législatives de novembre 2020, l'armée avait chassé du pouvoir le gouvernement de la dirigeante démocratiquement élue Aung San Suu Kyi. Depuis, le pays est en guerre civile. Les crimes internationaux graves systématiquement perpétrés dans le pays sont en forte augmentation, a déclaré mercredi un enquêteur onusien (lire encadré).
Possible report des élections
L'état d'urgence imposé dans la foulée du putsch par la junte devait expirer à la fin du mois de janvier, délai au terme duquel les autorités devaient, selon la Constitution, mettre en place un calendrier pour de nouvelles élections.
Le chef de la junte Min Aung Hlaing avait déclaré précédemment que les élections ne pourraient être tenues que quand le pays serait "pacifié et stable".
L'armée devait annoncer mercredi qu'elle se préparait pour ces élections. Mais mardi, le Conseil national de défense et de sécurité, composé de membres de la junte, s'est réuni pour discuter de l'état de la nation et a conclu que le pays "n'est pas encore revenu à la normale".
Dans un communiqué, la junte a accusé ses opposants, dont les "Forces de défense populaire" (PDF) et un gouvernement fantôme animé par des députés du parti d'Aung San Suu Kyi, de chercher à prendre le pouvoir "par le soulèvement et la violence". L'"annonce nécessaire sera publiée" mercredi, ajoute le document, sans donner de détails.
Sanctions internationales
Les puissances occidentales ont marqué cet anniversaire par une nouvelle vague de sanctions à l'encontre des généraux, mais les cycles précédents n'ont guère montré de signes permettant de faire dévier la junte de sa route.
Les rues du centre de Rangoun, la capitale économique, se sont largement vidées en fin de matinée, ont constaté des correspondants de l'AFP, après que des militants ont appelé les habitants du pays à fermer leurs commerces et à rester à l'intérieur la journée.
agences/ami
Sujets radio: Juliette Verlin
"Ma peau était entièrement noire à cause des coups"
Un artiste militant emprisonné plus d'un an témoigne mardi dans La Matinale de l'enfer qu'il a vécu, en particulier lors d'un passage de deux semaines dans un centre d'interrogatoire.
"Ils m’interrogeaient pendant trois heures, puis ils partaient, revenaient, me posaient d’autres questions, me frappaient encore, ils me faisaient attendre pendant des heures", raconte-t-il.
"Ils m’ont dit qu'ils pouvaient tout aussi bien me tuer: 'Tu n'es rien. Tu penses que tu peux changer le monde? On peut te faire disparaître ici. Viens voir'. Ils m’ont montré. Ils ont une morgue. Ils peuvent incinérer des gens là-dedans. Ma plus grande peur, c'était les secrets que je possédais. J'ai créé une histoire, et je m'y suis tenu. J’étais tellement nerveux", détaille-t-il.
"Mais il fallait vraiment tenir. Je me répétais: 'Respire. Tu vas mentir". Quand ils étaient sortis, je ne faisais que ça. Respirer. Comme une méditation. Après deux jours, ma peau était entièrement noire à cause des coups."
Les enquêteurs onusiens ont identifié les responsables de crimes internationaux
"Nous avons une augmentation considérable du nombre de crimes internationaux graves systématiquement perpétrés dans le pays", affirme mercredi l'Américain Nicholas Koumjian dans une déclaration publiée à Genève. Le chef du Mécanisme international indépendant d'investigation (MIII) sur la Birmanie de l'ONU répète que "des preuves crédibles" de crimes contre l'humanité et crimes de guerre ont été recueillies.
Parmi ceux-ci figurent des viols, de la torture sur des milliers de personnes, des emprisonnements illégaux ou encore des évacuations forcées. Le MIII sur la Birmanie continue à préparer des dossiers pour de futures poursuites. La répression des manifestations a fait près de 2900 victimes civiles en deux ans, selon l'ONU.
Des crimes répandus accompagnent également les conflits en cours dans le pays. Des attaques indiscriminées ont régulièrement ciblé des civils ou des infrastructures civiles. Elles constituent des crimes de guerre. Selon l'ONU, des dizaines de milliers d'infrastructures ou de maisons ont été brûlées.
Plusieurs méthodes d'enquête, mais peu de collaboration des militaires
Le MIII se penche sur les atrocités perpétrées par les forces de sécurité et les groupes armés. Grâce aux entretiens, documents, vidéos, photos ou images satellitaires, "nous trouvons des preuves qui montrent qui est responsable", affirme Nicholas Koumjian.
Malgré le manque de collaboration des militaires, les indications sont "considérables, crédibles et directes", dit-il. Aussi bien des rescapés que des témoins et personnes qui ont fait défection ont parlé. Ce matériel est partagé avec la Cour pénale internationale (CPI) et la Cour internationale de justice (CIJ), mais d'autres juridictions pourraient suivre, dit le chef du MIII. Ceux qui sont responsables seront poursuivis, selon lui.