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Un père resté en Ukraine: "Je m’habitue aux bombes mais pas à l’absence de mon enfant"

Nicolai, un père ukrainien de 41 ans, dit au revoir à sa fille Elina, 4 ans, et à sa femme Lolita qui fuient la guerre d'invasion russe en Ukraine pour se réfugier en Pologne. [Keystone/AP Photo - Emilio Morenatti]
Deux jeunes papas restés en Ukraine ont parlé à Maurine Mercier / Tout un monde / 9 min. / le 1 février 2023
Il y a presque une année, la Russie a envahi l’Ukraine. Huit millions d'Ukrainiennes et d'Ukrainiens ont évacué le pays, soit un habitant sur cinq. De nombreuses mères et leurs enfants ont fui les bombes, laissant souvent derrière elles leurs conjoints. Deux papas ont témoigné à la RTS de leur nouvelle réalité.

Plusieurs de ces jeunes hommes ont pu embrasser une dernière fois leurs familles à la frontière ou sur un quai de gare. Depuis, rares sont ceux à les avoir revues. Car depuis le 24 février 2022, Volodymyr Zelensky a décrété la mobilisation générale et la loi martiale. Tous les hommes en âge de combattre ont l'interdiction de quitter le pays.

Deux jours auparavant, au moment des premiers tirs de missiles, Alexander a réussi à quitter le pays. En 20 minutes, lui et sa famille ont pris la route. La guerre, ils la sentaient arriver: "Depuis un mois, nous étions prêts. Les affaires des enfants, l’eau et la nourriture étaient dans la voiture. Je les ai amenés en République tchèque, puis je suis revenu immédiatement."

Consciemment, il a donc quitté sa famille pour venir en aide à son peuple. De retour à Odessa, ville portuaire au sud de l'Ukraine, il savait qu'il ne pourrait plus ressortir. "C'est très dur pour moi, mais je n’ai pas envie de vous embêter avec ça", pourtant il a envie de se confier.

Je ne veux pas que mes filles sachent ce qui m'arrive ici

Alexander, resté à Odessa sans sa famille

Aujourd'hui, sa vie est totalement chamboulée, il effectue une des tâches les plus pénibles, il ramasse des cadavres de soldats sur des champs infestés de mines. Abandonnés depuis des semaines ou des mois, parfois, certains corps sont retrouvés en état de décomposition.

Une réalité qu'il cache à ses enfants. Il ne veut pas que ses filles, deux jumelles de 10 ans, apprennent ce qu'il fait. Il dit vouloir les préserver de l'horreur de la guerre.

Il est aussi le père d'un garçon. "Désormais étudiant, lui est suffisamment grand", dit-il pour se rassurer. A côté de lui, leurs photos à tous sont collées sur un mur.

Son rêve c'est de voir sa famille revenir au pays

Par vidéo, ils se parlent presque tous les soirs. "Mes filles peuvent me montrer ce qu’elles font à l’école. (...) Ma femme m'a dit que Varya avait fait un dessin de moi et qu'elle l'a mis sur son oreiller. Elle dit qu'elle dort tous les jours avec son papa. Quand j'ai appris cela, j'ai pleuré."

Auparavant, il travaillait dans le secteur du tourisme, mais il a évidemment perdu son emploi aujourd'hui. Il aide donc l'armée volontaire, mais il n'est pas payé. Il n'aurait pas de quoi faire vivre sa famille. D'ailleurs, souvent, il n'a même pas de quoi se nourrir.

Pourtant, il rêve de voir son épouse et ses enfants revenir à Odessa, une ville qui subit des coupures d'électricité, mais reste plutôt épargnée.

>> Voir le sujet du 12h45 :

En Ukraine, les pères privés de leurs enfants
En Ukraine, les pères privés de leurs enfants / 12h45 / 3 min. / le 11 février 2023

Près de la ligne de front, presque toutes les femmes ont fui. Andrei vit à Mikolaiev, son appartement s'est retrouvé juste sous les tirs. Lampe de poche à la main, il nous guide dans son ancien logement, aujourd'hui totalement dévasté.

Dans cette ville du sud de l'Ukraine, en raison de tirs réguliers, de nombreux immeubles sont éventrés, témoigne Andrei: "On a subi des bombardements tous les jours et toutes les nuits. J’ai fini par m’y habituer, mais que mon fils et que tous mes proches soient partis en Europe, ça je ne m’y habituerai jamais."

Avant la guerre, il était très proche de son fils, "nous faisions du vélo sans arrêt, on était inséparables" dit-il. Mais à cause de la guerre, il n'a pas pu le voir commencer l'école. Depuis près d’un an, il se contente d'échanges par internet. Par webcam il lui demande comment s'est passé son école, "tu as fait tes devoirs?", "da" répond le petit sur son smartphone.

"Ce petit ours attend le retour de mon fils"

Andrei explique la difficulté de faire comprendre à son bonhomme de 7 ans qu'il lui est interdit de le rejoindre en Slovaquie. De son côté, son fils économise dans sa petite tirelire pour un billet retour, mais "moi, je dois lui dire non, parce que ce n'est pas sûr ici et ça ne le sera pas de sitôt," explique le jeune père, les larmes aux yeux. Sa femme voudrait revenir en Ukraine, mais pour lui c'est trop tôt.

De la boîte à gants il sort une peluche: "ce petit ours attend le retour de mon fils et voilà les photos de mon petit, je les garde toujours avec moi". Puis il confie le plus dur pour lui: "c'est de voir mon fils s'habituer à vivre sans moi".

Andrei confie qu'en tant que père, il se doit de rester solide. Alors parfois avec ses amis, tous papas, tous arrachés à leur famille à cause de la guerre, ils prétextent de se retrouver pour une partie de backgamon, mais en réalité, souvent, ils pleurent.

>> Lire aussi : "Nous devons rester unis pour aider l'Ukraine, pour ramener la paix sur notre continent"

Sujet radio Maurine Mercier

Adapatation web, Miroslav Mares

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