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Terres rares, lithium, cobalt, ruée sur les métaux stratégiques

Géopolitis - Métaux rares, l'eldorado. [AP Photo]
Métaux rares, l’eldorado / Geopolitis / 26 min. / le 12 février 2023
De nouveaux projets miniers se multiplient en Europe pour extraire des sols les métaux utilisés dans les smartphones, les ordinateurs, mais aussi les éoliennes et les voitures électriques.

Le sous-sol de Kiruna, tout au nord de la Suède, abrite le plus grand gisement de terres rares connu à ce jour en Europe: un million de tonnes, voire plus, qui pourraient être exploitées dans les 10 à 15 ans. Une découverte significative "pour assurer la transition énergétique de l'Union européenne", a affirmé la ministre suédoise de l'énergie, Ebba Busch, lors de la présentation de ce nouveau gisement, mi-janvier. En octobre, la société française Imerys annonçait son ambition d'exploiter l'une des plus grandes mines de lithium d'Europe, dans le département de l'Allier, d'ici 2027.

Les terres rares, le lithium ou encore le cobalt font partie d'un ensemble de minerais et métaux stratégiques pour de nombreuses technologies. On retrouve des terres rares comme le néodyme et le dysprosium dans les aimants des turbines de certaines éoliennes. Le lithium, le cobalt, mais aussi le nickel sont utilisés pour fabriquer des batteries pour les véhicules électriques.

Selon l’Agence internationale de l’énergie, la demande mondiale de batteries a doublé entre 2020 et 2021. Les besoins en véhicules électriques vont continuer à croître fortement, notamment en Europe. L'Union européenne veut mettre fin à la vente de véhicules neufs à moteur thermique dès 2035.

Le métaux, au cœur de la transition

"Aujourd'hui, on a encore 80% de l'énergie mondiale consommée qui vient des énergies fossiles. La principale source d'électricité vient du charbon", souligne Gilles Carbonnier, professeur à l’IHEID, à Genève, et invité de l'émission Géopolitis. "Mais on est effectivement dans une transition qui doit être très rapide, vu l'urgence climatique. Et donc, on voit une ruée sur ces minerais et ces métaux qui sont essentiels pour la transition énergétique mais aussi pour les nouvelles technologies, y compris dans le secteur très stratégique de la défense", relève ce spécialiste des matières premières.

On trouve des terres rares dans certaines technologies militaires. Par exemple, l'avion de chasse américain F-35 contient plus de 400 kg de matériaux fabriqués avec des terres rares. Sous l'administration Trump, en pleine guerre commerciale, la Chine avait menacé de restreindre les exportations de ces métaux. En 2010 déjà, elle avait suspendu ses ventes de terres rares au Japon, après l'arraisonnement d'un chalutier chinois près d'îlots que les deux pays se disputent. "Comme les sanctions économiques, ces restrictions à l'exportation deviennent un instrument de politique économique mais aussi de politique étrangère", analyse Gilles Carbonnier.

Le poids de la Chine

La Chine est un acteur incontournable sur le marché de ces minerais et métaux stratégiques. Soixante pour cent de la production minière de terres rares provient de Chine. Le pays possède les plus grandes réserves connues à ce jour. Mais la Chine est surtout leader dans la transformation de plusieurs minerais stratégiques. Ses usines raffinent 87% des terres rares, 58% du lithium et 65% du cobalt, selon une étude de l'Agence internationale de l'énergie.

>> INFOGRAPHIE: Les plus grands pays producteurs de terres rares : Les quatre premiers pays producteurs de terres rares. [RTS - Géopolitis]
Les quatre premiers pays producteurs de terres rares. [RTS - Géopolitis]

C'est aussi pour se défaire de cette dépendance que l'Europe et les Etats-Unis investissent dans l'exploitation de leurs propres gisements. Actuellement, les Etats-Unis extraient de leur sol 15% de la production mondiale de terres rares, dans la mine de Mountain Pass, en Californie. Mais d'autres projets d'exploitation sont à l'étude. En Europe, la création de nouvelles mines se heurte dans certains cas à de forts mouvements de protestation. En 2021, des milliers de manifestants avaient bloqué les grandes routes de Belgrade et d’autres villes serbes pour s'opposer à un immense projet de mine de lithium du groupe anglo-australien Rio Tinto. Le gouvernement avait finalement fait marche arrière.

De nouvelles perspectives économiques

D’ici 2040, les besoins en minerais et métaux stratégiques pour la transition énergétique pourraient quadrupler, alors que le recyclage reste encore limité: 32% du cobalt est recyclé mais seulement 0,5% du lithium et 0,2% des terres rares. L’augmentation de la demande ouvre de nouveaux horizons pour certains pays. La République démocratique du Congo, qui à elle seule assure 70% de la production minière de cobalt, veut promouvoir le développement d’une industrie de production de batteries sur son territoire. La Bolivie, qui abrite les plus grandes ressources de lithium identifiées à ce jour, a "essayé sans succès de développer l'extraction et la production de manière autonome et nationale", explique Gilles Carbonnier. "Aujourd'hui, il y a des investisseurs étrangers, notamment chinois, qui vont venir pour extraire le lithium en proposant des activités à valeur ajoutée, par exemple avec la production de batteries sur place", précise le chercheur.

>> INFOGRAPHIE: Taux de recyclage de certains métaux stratégiques : Différences considérables dans le recyclage des métaux stratégiques. [RTS - Géopolitis]
Différences considérables dans le recyclage des métaux stratégiques. [RTS - Géopolitis]

Mais ce nouvel essor des mines comporte des risques de violation des droits humains et de détérioration de l'environnement. "On a vu que dans les pays en développement, ces extractions s'accompagnent souvent de conditions sociales et de travail exécrables, et de pollutions inacceptables, que ce soit des nappes phréatiques, des cours d'eau ou de la qualité de l'air", alerte Gilles Carbonnier. En RDC par exemple, certains mineurs extraient le cobalt à mains nues dans les carrières. Certains sites emploient de nombreux enfants.

Elsa Anghinolfi

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