C'est une image qui a fait le tour du monde. Le samedi 4 février, à 14h39 (20h39, en Suisse), un avion de chasse F-22 Raptor abat ce que les Etats-Unis estiment être un ballon chinois d'espionnage au large des côtes de la Caroline du Sud. L'aéronef circulait depuis plusieurs jours au-dessus du territoire américain, traversant d'abord à haute altitude l'Alaska, le Canada pour entrer à nouveau aux Etats-Unis, en survolant les Etats du Montana, puis du Missouri, et poursuivant sa trajectoire vers l'est.
Dès le 1er février, le président américain Joe Biden avait pourtant ordonné à l'armée d'abattre le ballon, mais le tir a été retardé pour des questions de sécurité, des débris de l'engin étant un risque pour les civils au sol.
Si l'espionnage entre puissances est une norme, l'incident semble surtout avec provoqué la stupeur aux Etats-Unis car le ballon était visible de tous. Il est apparu inconcevable qu'un appareil d'un Etat rival puisse voler impunément dans la ciel américain Dans les faits pourtant, Pékin semble avoir joué avec les limites. Juridiquement, un Etat peut faire valoir sa souveraineté sur l'espace aérien jusqu'à 66'000 pieds d'altitude. Repéré, le ballon volait au-dessus de cette ligne. Il sera finalement abattu en dessous, entre 60'000 et 65'000 pieds, soit entre 18 et 19 km d'altitude.
Une surveillance à courte portée
Mais à l'heure des nouvelles technologies, des satellites ultra-précis, des outils informatiques, l'usage d'un ballon pour espionner un pays rival peut apparaître d'un autre temps.
La première utilisation militaire de ballons est attribuée à la France en 1794, lors de la bataille de Fleurus, dans la Belgique actuelle. Les engins sont ensuite développés et permettent une observation du champ de bataille lors de la guerre civile américaine ou encore de la guerre franco-prussienne de 1870. La surveillance par ballons s'intensifie ensuite pendant la Première et la Seconde Guerre mondiale. Lors de ce deuxième conflit, les forces japonaises iront même jusqu'à les utiliser pour attaquer directement les Etats-Unis. Entre les mois de novembre 44 et d'avril 45, le Japon fera ainsi décoller via le Pacifique plus de 9000 ballons chargés de bombes incendiaires, destinées à provoquer de larges incendies de forêt. En raison d'un climat trop humide, ces attaques seront largement infructueuses.
Les ballons se sont sans surprise modernisés avec le temps. Ils possèdent désormais un équipement d'imagerie de haute technologie, ce qui permet "d'effectuer une surveillance à courte portée", détaille Iain Boyd, professeur de l'ingénierie aérospatiale à l'Université du Colorado, dans un article qu'il signe pour le site australien spécialisé "The Conversation".
Alors que les satellites restent la "méthode d'espionnage aérien privilégiée", les ballons volant plus bas peuvent généralement prendre des images plus claires que les satellites placés en orbite la plus basse, ajoute-t-il, car nombre d'entre eux effectuent une orbite terrestre en 90 minutes et ne peuvent donc pas prendre des images continues d'un endroit précis.
En revanche, les satellites capables de tourner de manière synchronisée avec la Terre et donc de rester fixés sur un endroit, orbitent à plus grande distance de la planète, ce qui rend les images moins précises que celles que peuvent fournir un ballon.
Interception de transmissions radios
Avec des capteurs spécifiques, un ballon d'espionnage est également capable d'intercepter certaines transmissions radios ou cellulaires qui ne peuvent être détectées depuis l'espace.
En cela, le fait que le ballon chinois ait survolé le Montana ne semble pas être une coincïdence. L'Etat abrite en effet une partie des silos de missiles intercontinentaux stratégiques américains.
Le survol du ballon d'espionnage au-dessus des Etats-Unis aurait également pu être employé pour recueillir des informations sur le type de signaux radars utilisés pour suivre l'engin, afin d'identifier et de classifier les différents systèmes de détection américains.
Un objet difficilement détectable
Le ballon d'espionnage offre donc différents types d'avantages. De par sa signature thermique extrêmement faible et ses ondes radioélectriques quasi-nulles, il est par ailleurs difficilement détectable.
Le haut commandement militaire supervisant l'espace aérien américain a d'ailleurs admis lundi que certaines incursions précédentes de ballons n'avaient tout simplement pas pu être détectées en temps réel, le Pentagone n'en étant informé qu'après coup. D'autres incursions auraient en revanche été repérées, mais Washington aurait préféré garder ces informations classées, afin d'éviter que Pékin comprenne que leurs actes d'espionnage avaient été découverts.
Côté chinois, le gouvernement a expliqué qu'il s'agissait d'un simple ballon météorologique. Une justification similaire à celle des Etats-Unis lors des années 50. Le président de l'époque, Dwight D. Einsenhower, avait en effet autorisé une surveillance de l'URSS et de la Chine par ballons équipés de caméras, sous couvert "de recherche météorologique".
Une opération qui tournera court, l'Union soviétique remarquant rapidement les engins et protestant officiellement. Le programme sera suspendu au bout d'un mois et seuls 54 des 512 ballons utilisés pourront être récupérés par les Etats-Unis.
Si le ballon chinois abattu a créé d'importants remous diplomatiques - le secrétaire d'Etat américain Antony Blinken a notamment annulé sa visite prévue à Pékin -, il n'est donc pas pour autant une exception.
Plus globalement, l'espionnage entre Américains et Chinois est monnaie courante. Les révélations d'Edward Snowden il y a une dizaines d'années avait notamment mis au jour l'irruption américaine dans les réseaux de Huawei, la société de télécommunication chinoise, ou encore la surveillance de dirigeants et de soldats responsables du déplacement des armes nucléaires nationales.
Pékin s'est de son côté illustré par diverses campagnes de hacking, qui permettront notamment de récupérer plusieurs téraoctets de données liées au programme de l'avion de combat F-35 ou encore d'informations sur des millions d'employés fédéraux américains. Des actes qui apparaissent de prime abord plus graves, mais qui ne sont pas aussi "tangibles" qu'un ballon survolant les Etats-Unis.
Il reste enfin difficile d'anticiper l'avenir des ballons d'espionnage, même si cet épisode poussera sans aucun doute les Etats-Unis à être beaucoup plus intransigeants sur ce domaine.
Tristan Hertig
Pourquoi un F-22 pour abattre un ballon?
Pour abattre le ballon chinois, les Etats-Unis ont décidé d'utiliser un F-22 Raptor, qui est l'avion de combat le plus avancé, le véritable joyau de l'US Air Force,
Mais alors pourquoi utiliser d'un tel niveau technologique pour une frappe qui apparaît relativement simple sur un objet volant qui ne dispose pas d'une quelconque défense?
La réponse repose sans doute sur l'altitude. Si la plupart des avions américains peuvent théoriquement opérer à de telles hauteurs (le tir a été effectué à 58'000 pieds), le F-22 reste selon la plupart des experts, l'engin le plus adapté pour ce type de mission.