Maîtresse de conférences en science politique à l’Université de Bourgogne, Alexandra Goujon étudie la société ukrainienne depuis plus de 20 ans. Invitée mardi de La Matinale, elle a apporté son point de vue sur l'état de la société ukrainienne presque un an après l'invasion russe.
"Ce qui a changé avec l'invasion, c'est que l'Ukraine est passée d'une guerre limitée à une guerre totale", rappelle-t-elle d'emblée. "L'ensemble de la société ukrainienne est mobilisée, avec une population civile qui s'est engagée aux côtés de l'armée pour défendre son indépendance".
L'architecture de la sécurité modifiée
La politologue souligne également que cette guerre a aussi modifié l'architecture de la sécurité en Europe et dans le monde. "On voit une Otan mobilisée, avec des sanctions sans précédent à l'égard de la Russie, et une aide financière et militaire à l'Ukraine. L'après-Guerre froide a été bouleversé par cette invasion russe de l'Ukraine".
Alexandra Goujon vient de publier une édition enrichie de son livre "L'Ukraine: de l'indépendance à la guerre", paru aux éditions Le Cavalier Bleu. L'ouvrage bat en brèche notamment une série de clichés, de stéréotypes, sur le pays.
"Sur l'Ukraine, j'ai entendu beaucoup de bêtises, parce qu'on a assez peu de spécialistes du pays et notamment en Europe continentale", souligne-t-elle en pointant ces derniers temps la question des divisions internes sur laquelle la Russie a joué.
Il est faux de dire que le pays est coupé en deux, il n'y a pas de frontière.
"On n'a pas arrêté de dire que l'Ukraine n'était pas viable parce que trop divisée, comme si on avait oublié que les différences régionales faisaient partie de n'importe quel Etat, n'importe quel pays", explique cette spécialiste. "Et dans l'historiographie occidentale, on a repris un certain nombre de choses de l'historiographie russe et soviétique autour de ce peuple ukrainien doté d'une culture mineure, voué à ne pas devenir un Etat viable".
Or, il est faux de dire que le pays est coupé en deux, assure Alexandra Goujon. "Il n'y a pas de frontière, même le Dniepr n'en n'est pas une. Et dans cette Ukraine que l'on dit divisée entre l'est et l'ouest, je pose souvent la question: où mettez-vous le centre?", interroge-t-elle.
Des russophones aussi patriotes
"On a effectivement une différence relativement importante entre l'extrême ouest, proche de la Pologne et qui n'a pas été soviétique avant la Seconde Guerre mondiale, et l'extrême est", relève tout de même la maîtresse de conférences en science politique.
"Mais ces différences sont en train de s'atténuer", poursuit-elle. "Et s'il y a des différences historiques, culturelles, entre ces deux régions, il n'y a pas de frontière. Ce que nous a montré cette guerre, c'est que l'on pouvait être russophone et patriote ukrainien, on pouvait être catholique et patriote ukrainien. Il y a juste une diversité qui n'est d'ailleurs pas toujours territorialisée".
Les Ukrainiens disent qu'ils continueront à se battre, ils croient en la victoire.
Et près d'un an après les premières bombes russes, la capacité de résistance de la société ukrainienne reste forte.
"Les sondages continuent de montrer que les Ukrainiens disent qu'ils continueront à se battre, ils croient en la victoire", note Alexandra Goujon. "L'expérience des premières semaines les a convaincus qu'ils pouvaient gagner cette guerre. On a une société vraiment mobilisée".
La popularité (presque) intacte de Volodymyr Zelensky
Le président Volodymyr Zelensky, omniprésent y compris sur la scène internationale, est du reste le symbole de cette mobilisation. Son "courage à rester à Kiev et sa détermination ont convaincu les Ukrainiens que c'était un personnage politique à défendre", explique-t-elle. "Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de critiques, mais elles se situent plutôt dans le domaine privé et Zelensky reste extrêmement populaire".
Propos recueillis par David Berger/oang