C'est un conflit politique mais aussi culturel qui oppose le gouvernement de Benjamin Netanyahu, soutenu par l'extrême-droite et les formations religieuses ultra-orthodoxes, à une partie importante de la société civile qui manifeste régulièrement pour dénoncer une dérive antidémocratique.
Lundi, des dizaines de milliers de personnes ont encore protesté à Jérusalem contre une réforme de la Cour suprême, dont les débats au Parlement, la Knesset, doivent démarrer mercredi. Le processus de nomination des juges est considéré comme problématique, et une clause dérogatoire permettrait au Parlement d'annuler une décision de la Cour suprême par un vote à la majorité simple.
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C'est ce texte en particulier qui cristallise en ce moment la profonde division de la société israélienne. Le leader de l'opposition Yaïr Lapid parle même de la "fin de l'ère démocratique en Israël". Une formule qui relève de l'exagération inhérente à l'arène politique, estime Alain Dieckhoff, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de la politique israélienne contemporaine, mais qui traduit un risque réel d'atteinte à la séparation des pouvoirs.
Protection des droits humains attaquée
"Il est tout à fait clair que c'est une atteinte au fonctionnement de l'Etat de droit, une tentative de diminuer très clairement le pouvoir judiciaire et de renforcer le législatif et l'exécutif", résume-t-il.
Dans les années 1990, deux lois fondamentales, quasi-constitutionnelles, permettent à la Cour suprême d'examiner la constitutionnalité des lois votées au Parlement et d'invalider certains textes au nom des droits humains, explique le spécialiste. Ce sont ces dispositifs qui sont aujourd'hui attaqués.
"Le gouvernement actuel parle d'un activisme judiciaire débridé. Or, la présidente actuelle de la Cour suprême a rappelé très clairement que seul 1% des lois votées depuis 1992 ont été invalidées, c'est quand même assez limité. Mais le pouvoir en fait un enjeu pour avoir plus de liberté d'action au niveau législatif."
Vers une démocratie illibérale?
D'autant que Benjamin Netanyahu est lui-même sous la menace d'ennuis judiciaires, tout comme certains de ses soutiens, à l'image du leader du parti ultra-orthodoxe Aryé Dery, dont la Cour suprême a invalidé mi-janvier la nomination en tant que ministre de l'Intérieur.
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"C'est ce genre de choses que la réforme en cours voudrait empêcher", note Alain Dieckhoff. "Les citoyens - qui en général n'ont pas voté pour Netanyahu - s'inquiètent à juste titre de ce type de réforme qui entame l'Etat de droit."
Ce qui se joue en Israël ressemble donc à ce qui est arrivé en Hongrie ou en Pologne, deux pays où les pouvoirs des Cours constitutionnelles ont été fortement limités, donnant de larges marges de manoeuvre aux pouvoirs et menant à des régimes qualifiés de "démocraties illibérales".
Société profondément divisée
Certains manifestants s'inquiètent aussi d'un retour d'une forme de théocratie, même si ce n'est pas un enjeu direct de la réforme judiciaire. "C'est lié à une crainte d'un renforcement de la place du judaïsme dans l'Etat, un engagement de la coalition gouvernementale", dans laquelle figurent deux partis ultra-orthodoxes, explique Alain Dieckhoff.
Au sortir d'une période d'instabilité en Israël, avec cinq élections en trois ans, on a désormais "une majorité claire, très cohérente idéologiquement, avec quatre partis qui proposent une alternative nationaliste et foncièrement conservatrice sur le plan éthique et religieux", résume le sociologue français.
"Et donc tous ceux qui protestent sont favorables à un autre modèle, plus libéral et plus ouvert. C'est quelque part une cristallisation de la polarisation très forte à l'intérieur de la société israélienne, entre deux camps qui ont une vision complètement contradictoire de l'avenir de leur pays." Un risque de collision dont s'est notamment inquiété dimanche soir le président israélien Isaac Herzog dans un discours télévisé inédit.
Propos recueillis par Eric Guevara-Frey
Texte web: Pierrik Jordan