"C'est une course contre la montre pour l'Ukraine et les Etats européens qui ont beaucoup à perdre"
Une quinzaine de chars de combat Leopard 2 seront livrés par l'Allemagne à l'Ukraine, à la fin du mois de mars. Après de longues hésitations, Berlin a finalement donné son feu vert à l'envoi de ces chars de fabrication allemande, tant attendus sur le front.
Aux livraisons de l'Allemagne, s'ajouteront 14 autres Leopard 2 qui viendront de Pologne. Ces chars modernes, les plus répandus en Europe et les plus faciles à acheminer, étaient réclamés avec insistance par l’Ukraine depuis des mois. Les Britanniques livreront de leur côté 14 Challenger 2 et les Etats-Unis 31 Abrams. La France acheminera des blindés légers AMX10. L’Allemagne enverra également 178 vieux Leopard 1 qu’il faudra restaurer.
Mardi 14 février, la Norvège a aussi annoncé le don de 8 Leopard 2 pour l'Ukraine. Quatre Leopard 2 fournis par le Canada sont aussi en cours d'acheminement. Cela permettra de se rapprocher des 300 chars requis pour donner un avantage décisif à l’Ukraine face aux chars russes T72 d’origine soviétique.
Derrière l'Ukraine
L'importance de cette montée en puissance de l’armement occidental livré à l'Ukraine est à relativiser, selon Johanna Möhring, chercheure au sein des universités de Bonn et Paris Panthéon-Assas, invitée de Géopolitis. "Je ne pense pas que cela soit un changement de la dynamique stratégique du conflit actuellement", souligne cette spécialiste des stratégies de puissance au 21e siècle. "Cela s'insère dans une continuité parce qu'il y a eu déjà des livraisons de chars T 72 soviétiques et aussi des véhicules blindés de combat. Donc, on reste dans une approche globale qui veut soutenir l'Ukraine tout en évitant l'escalade."
Les pays occidentaux n'envisagent pas pour le moment de livrer des avions de chasse, malgré l’insistance du président ukrainien. En revanche, les Américains ont accepté de fournir des roquettes d’une portée de 150 km, capables de frapper les arrières russes, au risque de changer la nature de cette guerre.
Le risque d'escalade
Le 6 février, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres mettait en garde: "Les chances d'une nouvelle escalade et d'un bain de sang ne cessent de croître. Je crains que le monde ne s'avance pas en somnambule vers une guerre plus large. Je crains qu'il ne le fasse les yeux grands ouverts."
La Russie depuis très longtemps se voit comme étant en guerre contre l'Occident.
Depuis le début de leur soutien militaire à l'Ukraine, les Occidentaux veillent à ne pas franchir certaines lignes rouges qui pourraient faire d'eux des cobelligérants. "Il faut distinguer ce qui constitue dans le droit des conflits armés la cobelligérance. Il faut participer avec ses propres soldats, soit sous son propre commandement ou sous le commandement ukrainien, participer à la planification et l'exécution des opérations ou donner accès à ses bases militaires pour vraiment entrer dans le cas de la cobelligérance", explique Johanna Möhring. "Mais évidemment, il y a un autre aspect: comment les parties à ce conflit considèrent les choses? Et là, on constate que la Russie depuis très longtemps se voit comme étant en guerre contre l'Occident."
Des milliards pour l'Ukraine
Fin décembre, Vladimir Poutine affirmait encore que "l'Occident mentait sur la paix et se préparait à l'agression. Et aujourd'hui, il n'a pas honte de l'admettre, au grand jour. Ils utilisent cyniquement l'Ukraine et son peuple pour affaiblir et diviser la Russie."
Face au risque d'une escalade, notamment nucléaire, les pays occidentaux espèrent une victoire rapide, selon Johanna Möhring. "C'est une course contre la montre pour l'Ukraine, mais aussi pour les Etats européens qui ont beaucoup à perdre", estime-t-elle.
Quarante pays, occidentaux pour la plupart, ont donné 113 milliards d’euros d’aide humanitaire, financière et militaire à l'Ukraine. Les premiers soutiens du pays au niveau militaire sont les Etats-Unis, avec 22,9 milliards d’euros d'aide.
Elsa Anghinolfi / Jean-Philippe Schaller
L'Otan se renforce face à la Russie
A la mi-Janvier, l'Otan a déployé des avions de surveillance AWACS en Roumanie, à quelques centaines de kilomètres des forces russes. Depuis un an, les pays membres renforcent leur présence aux frontières orientales de l’alliance. L’Allemagne a envoyé des forces supplémentaires en Lituanie, en septembre. La France a déployé treize chars Leclerc et une vingtaine de véhicules blindés d’infanterie en Roumanie.
Les Etats-Unis, première puissance militaire mondiale, ont augmenté leurs effectifs en Europe de 80'000 à 100'000 personnes. Parmi eux, les soldats d’élite de la 101e division aéroportée, qui n’avaient pas été déployés sur le continent depuis la Seconde Guerre mondiale.
Au total, plus de 40'000 soldats sont sous le commandement direct de l’Otan dans ces pays. Des forces auxquelles s’ajoutent, selon l’alliance, des centaines de milliers de militaires des différents Etats membres.