Le camion jurassien a quitté Delémont dans la nuit du 10 février en direction du sud-est de la Turquie. À l'origine de l'action, Azef Arguz, restaurateur dans la capitale jurassienne, s'est rendu sur place.
Il saluait dans l'émission Forum du 11 février l"'énorme solidarité" de la population jurassienne, en particulier le soutien d'une famille de la région, qui a permis de réunir des habits, de la nourriture ou des produits hygiéniques dans son établissement, puis d'affréter le convoi.
"Nous avons des contacts sûrs en Turquie, qui vont accueillir le camion et faire une bonne distribution", expliquait-il alors.
Des craintes confirmées
Azef Arguz s'est toutefois rendu sur place lui-même pour participer à la réception et la distribution de cette aide humanitaire, craignant que tout ne se passe pas comme prévu. Et il a vu ses craintes confirmées. "L'armée turque a mis la main partout, on ne sait plus comment faire", déplore-t-il samedi dans Forum, en direct de Pazarcik, épicentre du séisme.
Pourtant, le camion parti de Delémont est bien arrivé à destination. "On a reçu des photos du déchargement et de la distribution du matériel", raconte-t-il. Mais "deux jours après, on nous appelle en disant que l'armée a fait une descente et a mis la main sur tout."
"Dorénavant, c'est comme ça. Tout ce qu'on envoie, on doit le donner à l'armée, c'est eux qui vont distribuer, mais on ne sait pas comment ils distribuent, on ne sait rien du tout. On est très remontés", poursuit-il.
Car Azef Arguz n'a pas confiance en l'armée pour s'occuper de cette tâche. Selon lui, les personnes qui s'occupaient de la coordination jusqu'à présent distribuaient l'aide de manière efficace grâce à leurs contacts dans différentes régions. Or, maintenant, "l'armée demande aux personnes dans le besoin de se déplacer pour venir récupérer l'aide. Mais on ne sait pas qui vient, on ne sait rien du tout."
Une aide humanitaire risquée
Il explique qu'il a donc fallu trouver des solutions pour contourner la mainmise des militaires. "On a pris le risque de stocker la nourriture dans un bâtiment qui a été touché par le tremblement de terre mais qui n'est pas effondré à 100%. On connaît la personne qui tient ce bâtiment-là, on cache dedans et, de là, on prépare des sacs, on met dans la voiture et on distribue comme ça. La police nous a déjà demandé ce qu'on faisait, on a dit que c'était pour notre famille. On fait passer les choses comme ça, même si c'est difficile", raconte-t-il.
Dans les prochains jours, le Jurassien participera à des distributions de nourriture pour plusieurs milliers de personnes, à Pazarcik puis dans une autre ville. De la nourriture commandée sur place, en Turquie. "Mais il faut aussi savoir que les magasins ont triplé, quadruplé les prix de la nourriture. Ils ne sont pas avec nous! Il y a des choses qui sont vendues ici plus chères qu'en Suisse."
"Ça commence à être très compliqué ici, la politique turque commence à serrer la vis et nous, on est dans la difficulté", dénonce-t-il. Pas de quoi le décourager pour le moment: Azef Arguz n'a pas encore pris son billet retour. "Je suis toujours ici et je vais aider tant que je peux et que j'ai les moyens!"
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Propos recueillis par Mehmet Gultas
Texte web: Pierrik Jordan