L'émission Tout Un Monde de la RTS avait diffusé en avril dernier le récit d'Ekatarina, une maman de Boutcha, dans la banlieue de Kiev, violée durant deux semaines par des soldats russes qui occupaient sa ville et sa maison. Le reportage sur ce témoignage particulièrement révélateur du tribut payé par les civils depuis l'invasion de l'Ukraine a d'ailleurs été plusieurs fois primé.
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La correspondante de la RTS en Ukraine, Maurine Mercier, a retrouvé cette mère ukrainienne et sa fille, près d'un an plus tard, dans leur maison en bois.
Les vitres, soufflées par les bombes, n’ont pas été remplacées. Seul un mince film de plastique tente de protéger le logement de la rudesse de l'hiver. "Mon Dieu, ça fait plaisir de vous voir", lance Ekatarina. "Il se passe beaucoup de choses, on va vous raconter".
Des viols aux accusations de collaboration
Et sa fille de 14 ans enchaîne: "La police est venue nous dire que nous étions des collaborateurs. C’est un policier, qui vit dans cette rue, qui a lancé cette rumeur". Car depuis l'an dernier, non seulement personne ou presque ne leur est venu en aide, mais cette mère, présumée coupable, est soupçonnée d’avoir collaboré.
Déjà en avril, lors de la première rencontre, Ekatarina avait expliqué que des hommes du quartier murmuraient qu’elle aurait pu s’en sortir autrement. Depuis, un policier de Boutcha est passé des insinuations aux actes. "Espèce d'ordure, je vais te mettre en prison (…) pour collaboration", lui a-t-il répété.
Un soulagement de courte durée
"Nous sommes sous le choc", raconte cette mère de famille qui souligne le côté injuste des accusations. "Nous étions si soulagées quand les occupants sont partis".
La grand-mère, elle, pleure en arrière-fond. C'est en raison de ses problèmes de santé que la famille ne pouvait pas fuir Boutcha occupée.
Ekatarina et sa fille racontent comment la police est venue les perquisitionner à fin juin. Très vite, le ton est monté. "Ma fille a filmé une partie de la perquisition, ils criaient des mots grossiers, la police ou les enquêteurs juraient, ils disaient qu’ils allaient casser le téléphone", poursuit la maman.
"Il n'y a personne pour nous protéger"
Elle explique ces comportements par la guerre. Pourquoi certains sont-ils morts et pas d'autres? Pourquoi sont-elles restées, elles? Le soupçon s’est installé entre voisins, avec de vieilles histoires qui remontent, de basses revanches. Le phénomène est constaté partout dans les villes libérées. "Ils ne comprenaient pas comment nous, les jeunes, sommes restées ici et avons survécu", enchaîne sa fille.
"Il n'y a personne pour nous protéger", réagit à son tour la grand-mère en pleurs. "Ils voient que nous sommes seules, alors ils attaquent les faibles, les démunis, les sans défense. Ils nous ont torturés, les occupants. Et maintenant ceux-là aussi".
Le sentiment d'une "deuxième occupation"
Au cauchemar imposé par les occupants, aux multiples viols subis, vient s’ajouter le fait d’être accusée par des voisins avec lesquels elle a vécu toute sa vie. "On appelle ça 'la deuxième occupation' entre nous, entre maman et moi", ajoute Ekatarina.
Après l’occupation russe, elle a finalement pu porter plainte et réaliser un examen médico-légal. "Et tout a été confirmé", souligne-t-elle. Mais la procédure ne donne rien pour l’instant, ce qui alimente d’autant les soupçons de certains voisins.
Les trois générations de femmes, terriblement éprouvées par ce qu'elles ont vécu, n'imaginent pas pour autant quitter Boutcha. La force et la rage sont toujours là.
"Je ne veux pas partir d'ici", lance encore Ekatarina. "Que les policiers regardent nos téléphones, qu'ils me mettent sur écoute, qu'ils fassent ce qu'ils veulent. J'ai la conscience tranquille. Le temps montrera que je ne suis coupable de rien".
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Témoignages recueillis par Maurine Mercier/oang
Traduction: Oksana Melnyk