RTS: L'Ukraine réclame des armes, des munitions, de quoi avez-vous le plus besoin aujourd'hui ?
Oleksiy Danilov: "Depuis le début de la guerre, nous ne demandons que la justice. Nous demandons la justice au monde démocratique européen. En ce qui concerne les armes dont nous avons besoin, ce n'est pas un secret. On en parle à nos partenaires tous les jours. Notre demande: des armes, des armes, et encore des armes.
Beaucoup de pays nous livrent des armes. Tout le monde civilisé est du côté de la lumière, et nous aide. Nous ne luttons pas seulement pour notre indépendance et notre liberté. Nous luttons aujourd'hui pour l'Europe, pour les valeurs du monde civilisé et démocratique. Tout le monde ne comprend pas cela, mais c'est la réalité.
La guerre était inévitable et on s'y préparait. On résiste vaillamment à la deuxième armée du monde.
On va recevoir des tanks, on va recevoir des obus, des systèmes d'artillerie. Tout ce que nos partenaires réussissent à nous fournir. Oui, il y a des délais, mais il y a des raisons qui expliquent le temps que ça prend et nous allons recevoir à coup sûr des avions de chasse F-16. On les verra bientôt dans notre ciel, nous en sommes sûrs à 99,9%. La seule question, c'est le délai".
RTS: Que peuvent changer sur le terrain les tanks promis par les pays occidentaux ?
Oleksiy Danilov: "Une grande unité de chars peut mener à bien une offensive puissante. C'est bien à cela que servent les tanks. Et nous en auront bientôt en quantité suffisante pour réaliser cette grande offensive.
On aimerait bien les avoir hier! Malheureusement, on ne les aura que demain. C'est la vie".
RTS: Avez-vous le sentiment que les pays européens ont pris la mesure de l'urgence et sont assez réactifs pour fournir armes et munitions ?
Oleksiy Danilov: "Chaque nation a sa mentalité et son rythme. Il faut poser la question différemment: l'Occident doit se préparer à la décolonisation de la Russie. La Russie va cesser bientôt d'exister dans ses frontières actuelles. Cela ne dépend pas de nous. Le début de l'écroulement de la Russie a été provoqué par Poutine le 24 février 2022.
Les processus qui ont oeuvré à l'écroulement de l'URSS sont maintenant en cours dans la Russie d'aujourd'hui
La fragmentation de la Russie aura lieu bientôt. Si quelqu'un en Occident pense qu'il peut le contrôler, arrêter ou affecter ce processus, je peux lui dire avec certitude qu'il ne comprend pas ce qui se passe en Russie, et quelles en seront les conséquences.
Ce sera le plus grand défi pour l'Occident, qui doit déjà s'y préparer. Vous ne pouvez pas arrêter cette réaction en chaîne".
RTS: La consommation d'obus est très importante, l'Ukraine peut-elle tenir à ce rythme ?
Oleksiy Danilov: "Nous allons tenir aussi longtemps que nécessaire. Nous voyons clairement que la victoire sera à nous et que les Russes n'ont aucune chance. La guerre ne se gagne pas qu'avec des obus, il y a plusieurs facteurs. Les guerres sont gagnées par les nations qui sont préparées. Notre nation était prête".
RTS: Durant les premières heures de l'invasion, avez-vous douté ?
Oleksiy Danilov: "Moi? Dans le fauteuil où vous êtes assis, à partir du 30 octobre 2021, j'ai reçu différents chefs des services secrets de plusieurs pays. Tous me disaient à l'unisson: 'vous n'avez aucune chance. Vous serez éliminés physiquement, vous, tous les hauts dirigeants ukrainiens. Il y a aura des camps d'internement, des camps de filtration, pensez à vous, protégez vos familles, mais sachez que vous n'avez aucune chance de gagner contre les Russes'.
A chaque fois, ma réponse était la même: 'vous ne savez pas qui nous sommes! Nous allons lutter et nous allons gagner de manière certaine! Si vous n'êtes pas convaincus de votre victoire, si vous avez peur, même pour une demi-seconde, vous avez déjà perdu. Vous n'avez pas le droit de vous laisser aller!'"
RTS: Le prix à payer pour défendre Bakhmut n'est-il pas trop élevé ?
Oleksiy Danilov: "Votre question n'est pas respectueuse. Je vous rappelle que Bakhmut est une ville ukrainienne. Nous devons la défendre coûte que coûte. Ensuite, la quantité de pertes russes à Bakhmut est immense. Si on fait le rapport entre les pertes ukrainiennes et russes, même si c'est rude parce qu'on parle de vies humaines, pour un soldat ukrainien tué, nous tuons sept soldats russes.
Nous faisons en sorte qu'ils n'aient aucune envie de continuer d'attaquer par là-bas. C'est ça, notre vision de la bataille de Bakhmut".
RTS: L'Ukraine a-t-elle les moyens de repousser les Russes ?
Oleksiy Danilov: "Nous savons comment il faut faire. Nous savons quand nous allons le faire. Et nous savons avec quels moyens nous allons le faire. Vous comprenez que je ne peux pas vous donner les détails. Mais croyez-moi, cela arrivera".
RTS: Il y a un grand débat en Suisse sur les réexportations d'armes, qu'en pensez-vous ?
Oleksiy Danilov: "Si vous pensez que l'esprit pacifiste que l'on peut voir chez vous va vous protéger, hélas ce n'est pas le cas car le monde va changer. Poutine a tué 500 enfants. 500, je répète (lire encadré). Et encore plus se retrouvent sans bras ou sans jambes.
Les gens qui se demandent s'il faut donner des armes pour nous défendre, j'aimerais qu'ils voient ces enfants dans leurs rêves. Au moment où Poutine largue des bombes sur eux. Est-ce que nos enfants ont besoin de protection? Bien sûr. Ce sont des enfants, ils n'ont fait de mal à personne.
Je vous demande: comportez-vous de façon à avoir des amis qui, dans les moments de crise, viendront vous tendre la main. Aidez-nous! Aidez-nous! Aidez-nous!".
Propos recueillis par Tristan Dessert, en Ukraine / jgal
Plus de 8000 civils tués en un an en Ukraine
Plus de 8000 civils ont été tués en un an de guerre en Ukraine et plus de 13'000 ont été blessés, selon des données -probablement inférieures au chiffre réel, publiées par l'ONU le 21 février 2023.
Plus de 60% des victimes sont des femmes. Plus de 480 enfants ont été tués. Plus de 90% des décès ou blessures ont été provoqués par des armes explosives à large impact. La plupart ont eu lieu dans des zones habitées. Les mines antipersonnel ou les restes explosifs de guerre ont fait plus de 630 victimes, précise encore l'Organisation.
La Mission de l'ONU sur les droits humains en Ukraine a aussi des indications sur six civils tués en Crimée et 160 en Russie.