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Le soutien des opinions occidentales à l'Ukraine s'effrite par endroits

En Allemagne, plus de 50'000 personnes ont manifesté lors du rassemblement "Insurrection pour la paix" devant la porte de Bandebourg, le 25 février 2023. [reuters - Hannibal Hanschke]
En Allemagne, plus de 50'000 personnes ont manifesté lors du rassemblement "Insurrection pour la paix" devant la porte de Bandebourg, le 25 février 2023. - [reuters - Hannibal Hanschke]
En lançant son offensive en Ukraine le 24 février 2022, Moscou s'attendait sans doute à des divisions en Europe: au lieu de cela, la Russie a fait face à une "union sacrée". Plus d'un an après le début de la guerre, le soutien à Kiev est toujours massif mais dans les opinions occidentales, les oppositions grandissent.

Plus de 110 milliards de dollars: c'est pour l'instant le montant que les Etats-Unis ont déjà alloué ou promis à l'Ukraine en aide humanitaire, économique et surtout militaire. Sans surprise, les Etats-Unis sont les premiers contributeurs pour soutenir Kiev, loin devant l'Union européenne et ses Etats membres qui ont déboursé près de 50 milliards d'euros.

Présent à Kiev pour rencontrer Volodymyr Zelensky le 20 février dernier, Joe Biden semblait loin de se soucier de ces montants. Le président américain a fait la promesse que l'Amérique "aiderait l'Ukraine aussi longtemps que nécessaire". Pourtant, les dernières enquêtes d'opinions nationales montrent que le soutien public à cette aide se fragilise.

Joe Biden a retrouvé Volodymyr Zelensky à Kiev le 20 février 2023 pour lui réaffirmer son soutien à l'Ukraine. [Keystone - Epa Ukraine]
Joe Biden a retrouvé Volodymyr Zelensky à Kiev le 20 février 2023 pour lui réaffirmer son soutien à l'Ukraine. [Keystone - Epa Ukraine]

Un sondage de l'agence américaine AP datant du 15 février montre que 48% des Américains restent favorables à l'envoi d'armes à l'Ukraine, contre 60% au moins de mai 2022. Ils sont 29% à s'y opposer et 22% à ne pas avoir d'avis sur la question. Selon une autre enquête du Pew Research Center, la part des citoyens estimant que l'assistance était trop importante est passée de 7% il y a un an à 26% au moins de janvier dernier.

Alors que la guerre semble s'éterniser, un présentateur d'ABC news a questionné Joe Biden pour savoir s'il était conscient que de plus en plus d'Américains et d'Américaines se demandaient pendant combien de temps le pays pourrait continuer à effectuer de telles dépenses.

"Je ne sais pas combien se demandent cela. Je sais que c'est surtout la foule de supporters MAGA (les partisans républicains de Donald Trump, ndlr) qui se posent ces questions. Mais on ne peut pas faire cela. Nous nous trouvons dans une situation où le coût d'un arrêt des aides pourrait être considérablement plus élevé que celui de continuer à aider l'Ukraine à maintenir son indépendance", a alors répondu le démocrate.

Les différentes études d'opinion montrent que le soutien à l'aide à l'Ukraine a essentiellement diminué dans l'électorat républicain, sur lequel le locataire de la Maison Blanche a peu de prise.

Mais les difficultés pour Joe Biden pourraient surtout venir de la Chambre des représentants à majorité républicaine. Cette semaine, plusieurs officiels du Pentagone ont été auditionnés par la Commission des forces armées de la Chambre et sommés, principalement par des élus républicains, d'expliquer la manière dont cet argent était dépensé. Ces élus, craignant un mauvais usage de ces fonds, ont promis aux responsables du Département de la Défense de les tenir pour responsables si cela devait s'avérer être le cas.

Inquiet de cette situation, le président ukrainien Volodymyr Zelensky aurait tenté d'établir un contact téléphonique avec Kevin McCarthy, président de la Chambre des représentants, pour plaider sa cause, selon divers médias américains.

Pour Joe Biden, un éventuel refus de la Chambre pour des aides futures pourrait avoir des conséquences sur la façon dont l'argent déjà attribué à Kiev est utilisé, alors que l'Ukraine continue à presser Washington pour obtenir de nouvelles armes plus sophistiquées.

Kevin McCarthy au Capitole à Washington DC. [Keystone - Jim Lo Scalzo/EPA]
Kevin McCarthy au Capitole à Washington DC. [Keystone - Jim Lo Scalzo/EPA]

La situation reste cependant sous contrôle pour le démocrate. En effet, bon nombre de républicains influents continuent de soutenir sans concession l'aide apportée à l'Ukraine. Chef de la minorité du Sénat, Mitch McConnel estime par exemple que Joe Biden doit encore augmenter l'assistance envers Kiev.

Le consensus sur l'Ukraine entre républicains et démocrates est loin d'être rompu et la scission existe surtout pour l'instant à l'interne du Grand Old Party (GOP). Candidat à la présidence des Etats-Unis, Donald Trump a déjà promis "de mettre fin à la guerre" très rapidement une fois élu. Le gouverneur de Floride Ron DeSantis, principal rival de l'ancien président pour l'investiture, bien que ne s'étant pas encore déclaré candidat, a de son côté expliqué que ces aides massives "n'étaient pas dans l'intérêt" des Etats-Unis.

A l'inverse, la candidate Nikky Haley, ancienne ambassadrice à l'ONU sous l'administration Trump, et Mike Pence, ex-vice président des Etats-Unis qui n'a pour l'instant pas fait acte de candidature, continuent à soutenir l'assistance américaine à l'Ukraine.

En Allemagne et en Italie, les courants pacifistes

En Europe aussi, la guerre et l'assistance financière et militaire sont l'objet de sérieux débats. Fruits d'une histoire tourmentée, le courant pacifiste s'est fortement développé en Allemagne et en Italie.

Jugée longtemps trop timorée sur le plan géopolitique, l'Allemagne a effectué une véritable révolution copernicienne en 2022 et 2023, en décidant d'abord d'augmenter sensiblement son budget militaire, puis d'aider directement l'Ukraine avec des livraisons d'armes offensives.

Pour autant, le courant pacifiste et les forces politiques opposées à l'aide militaire n'ont pas disparu du débat public, bien au contraire. La manifestation du 25 février dernier a réuni 50'000 personnes à Berlin pour s'opposer à la guerre. Très présente sur cette thématique, la députée du Bundestag Sahra Wagenknecht (Die Linke/Gauche) s'est notamment illustrée ce jour-là lors d'un discours où elle a critiqué avec véhémence l'envoi de chars allemands à l'Ukraine.

L'opposition à la politique du gouvernement ne se cantonne par ailleurs pas à la gauche allemande, des partis de droite s'y déclarant également ouvertement opposés. Un sondage de la DPA, l'agence de presse allemande, révèle d'ailleurs un peu plus le malaise au sein de la population. Au total, 44% des citoyens se disent opposés à l'envoi de matériel militaire à Kiev, contre 41% en sa faveur.

>> Le reportage du 19h30 sur la manifestation de Berlin :

Manifestation à Berlin pour lancer un appel à la paix et renouer avec la tradition pacifiste allemande
Manifestation à Berlin pour lancer un appel à la paix et renouer avec la tradition pacifiste allemande / 19h30 / 2 min. / le 25 février 2023

En Italie, Giorgia Meloni a très vite affiché son soutien à l'Otan et à l'Ukraine à son arrivée au pouvoir, à la surprise de certains analystes.

Mais la coalition de droite italienne, composée du parti Fratelli d'Italia de la Première ministre, de la Ligue de Matteo Salvini et de Forza Italia de Silvio Berlusconi s'est vue fragilisée par des dissensions internes liées à l'Ukraine.

De gauche à droite: Matteo Salvini, Silvio Berlusconi et Giorgia Meloni. [EPA - Massimo Percossi]
De gauche à droite: Matteo Salvini, Silvio Berlusconi et Giorgia Meloni. [EPA - Massimo Percossi]

Le 12 février dernier, ce sont justement les mots de l'ex-Premier ministre qui ont mis le feu aux poudres. Dans une interview accordée en marge d'élections régionales en Lombardie, "il Cavaliere" a jugé le président ukrainien responsable de la situation actuelle. "Il suffisait que Volodymr Zelensky cesse d'attaquer les deux républiques autonomes du Donbass et tout cela ne serait pas arrivé. Par conséquent, je juge très négativement ce monsieur", a-t-il expliqué.

Interrogée sur ces propos quelques jours plus tard alors qu'elle effectuait sa première visite à Kiev pour rencontrer le président ukrainien, Giorgia Meloni a estimé que Silvio Berlusconi cherchait à "affaiblir son image" à l'international.

Mais au-delà des désaccords idéologiques de la coalition, l'Italie est, tout comme l'Allemagne, parcouru par un courant pacifiste puissant, symbolisé notamment par sa Constitution où Rome dit "renoncer à la guerre" comme "moyen de règlement des différends internationaux".

Le mouvement pacifiste reste plus fort qu'ailleurs en Italie. [keystone - Luca Zennaro]
Le mouvement pacifiste reste plus fort qu'ailleurs en Italie. [keystone - Luca Zennaro]

L'élection de Giorgia Meloni, dont l'admiration affichée pour Benito Mussolini dans le passé avait fait les gros titres de la presse, n'a pas pour autant effacé le refus de la guerre en Italie. Bien au contraire, la fin désastreuse de l'Italie fasciste en 1945 a insufflé une envie de paix qui perdure dans de larges pans de l'opinion. En cela, l'aide militaire apportée à l'Ukraine est souvent perçue comme un obstacle.

La contestation du gouvernement se fait aussi sur le plan économique, la guerre étant souvent jugée responsable des difficultés que traversent le pays. "Nous sommes contre l'envoi d'armes. L'Italie ne peut pas supporter un nouvel effort de guerre. Nous sommes en récession", résumait en septembre dernier Giuseppe Conte, président du Mouvement 5 étoiles, lors d'une manifestation pacifiste. Une position réaffirmée en janvier 2023 dans une interview, où il estimait que l'Union européenne n'en faisait "pas assez" pour orienter la guerre vers une solution.

Tout comme l'Allemagne, l'Italie ne devrait pas voir sa politique s'infléchir drastiquement sur le dossier ukrainien. Mais la contestation, si elle se confirme, pourrait d'après les analystes fragiliser de futurs votes sur de nouvelles aides à destination de Kiev.

A quand la fin de la guerre?

Le soutien à l'Ukraine s'avère donc encore solide, tant aux Etats-Unis qu'en Europe. Si les dissensions politiques existent dans plusieurs pays, Kiev peut aussi compter sur un soutien infaillible d'autres Etats, à l'exemple du Royaume-Uni.

Outre-Manche, aucun changement de l'opinion publique n'a pu être constaté depuis le début de l'invasion russe. Politiques de tous bords, presse et citoyens sont tous sur la même longueur d'onde. Une position qui s'explique sans doute en partie par les différends que le Royaume-Uni a avec la Russie depuis plusieurs années, notamment l'empoisonnement de l'ancien agent double Sergueï Skripal, en 2018. Au total, 60% des Britanniques disent approuver l'aide à l'Ukraine, contre seulement 12% qui s'y opposent.

>> Revoir le reportage du 12h45 sur l'empoisonnement de Serguëi Skripal à Salisbury :

Affaire Skripal: l’empoisonnement a eu lieu au domicile de l’ex-espion russe
Affaire Skripal: l’empoisonnement a eu lieu au domicile de l’ex-espion russe / 12h45 / 1 min. / le 29 mars 2018

L'Ukraine peut aussi trouver du réconfort dans les pays de l'Europe de l'Est, même si la présence massive de réfugiés ukrainiens crée quelques remous dans l'opinion, notamment en Slovaquie.

Sans surprise, la Pologne reste le soutien principal: près de 80% des sondés sont en effet favorables à ce que l'aide militaire continue. La République tchèque reste également un partenaire fiable. Sa population continue à être fermement attachée à une aide à l'Ukraine même si d'après les récents sondages, elle est majoritairement opposée "à une augmentation de l'aide militaire".

Alors qu'on prédisait des retournements d'opinions massifs à l'hiver 2022-23, notamment du fait de l'augmentation des prix de l'énergie, l'Europe a mieux résisté qu'attendu.

Pourtant, face à une guerre dont on peine à voir la fin, les dirigeants allemands, français et britanniques pousseraient peu à peu en coulisses le président ukrainien à se mettre à la table des négociations, estimant désormais inatteignables certains objectifs affichés par Volodymyr Zelensky, comme la libération de toute l'Ukraine, Crimée comprise.

Des informations livrées par des sources anonymes au Wall Street Journal et au quotidien allemand Bild, mais démenties en partie de manière officielle par le gouvernement allemand.

Tristan Hertig

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