Allongée sur son canapé, Zeynep prend son mal en patience. Cette femme de 63 ans attend que son pied guérisse. Elle était chez elle lorsque le double séisme a dévasté sa ville de Kahramanmaraş.
Lors de la deuxième secousse, peu après midi, une casserole d'eau bouillante s'est déversée sur sa jambe. Son mari Hüseyin a heureusement réussi à la porter à l'extérieur sans encombre. Aujourd'hui, le couple a trouvé refuge chez leur fille à Istanbul, dans un quartier modeste de la rive asiatique.
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La peur au ventre
Un mois après les faits, Zeynep se sent encore très mal, elle a l'impression que la terre continue de trembler. "Il suffit qu'une voiture passe et j'ai l'impression que c'est un tremblement de terre", déplore-t-elle au micro de La Matinale. La sexagénaire vit la peur au ventre. Tout comme son mari, elle n'arrive à dormir que deux heures par jour. "Je laisse la télévision allumée tout le temps, même la nuit. J'ai peur. Je n'arrive pas à rester seule à la maison."
Près de 14% de la population turque a été touchée par le tremblement de terre du 6 février. Un séisme qui a tué près de 46'000 personnes (dont les corps ont été retrouvés) et fait 105'000 blessés rien qu'en Turquie, selon des bilans sans doute incomplets.
Quelque 214'000 bâtiments hauts parfois de plus d'une douzaine d'étages ont par ailleurs été détruits ou condamnés, dans onze des 81 provinces du pays. Près de 1,5 million de rescapés vivent encore sur les zones sinistrées, souvent logés sous tente ou dans des conteneurs. Plus de 3 millions d'autres ont fui, tout comme Zeynep et Hüseyin, et se sont abrités dans d'autres villes du pays.
Campagne de solidarité
Face à l'ampleur des besoins de logement, le ministère de l'Intérieur a lancé une grande campagne de solidarité qui s'intitule "Que ma maison soit ton foyer". Dans le pays, les gens n'ont toutefois pas attendu les autorités.
Imam dans le quartier de Sultanbeyli, arrondissement défavorisé de la rive asiatique, Nesip Yavuz a lancé dans les premiers jours un appel à solidarité sur les réseaux sociaux et a pris en charge une vingtaine de familles. Son idée? "Trouver des logements disponibles ici à Sultanbeyli et dans les environs afin d'aider les familles rescapées du séisme", explique-t-il.
"Je trouve des propriétaires qui sont d'accord pour prêter leur appartement ou pour les louer à des prix très bas. En fonction des appartements, je les mets en lien avec les familles dans le besoin. Ensuite, j'essaie d'amener tout ce qu'il faut pour les installer, comme des draps, de la vaisselle, un réfrigérateur, des casseroles, des lits...", poursuit-il. L'imam s'est également engagé pour assurer les besoins alimentaires de base des familles, sans compter les vêtements.
Soutien psychologique
La jeune Gönül, sa fille et ses beaux-parents ont bénéficié de l'aide de Nesip Yavuz, mais n'ont pour l'instant pas encore obtenu de soutien financier de la part des autorités. Bien qu'elle soit soulagée d'avoir quitté son village près d'Elbistan, elle est inquiète pour son enfant, comme elle l'explique dans La Matinale.
"Ma fille a mangé aujourd'hui pour la première fois depuis des jours. On l'a amenée chez le médecin qui nous a conseillés de l'envoyer chez le psychologue. Elle a tout le temps l'impression que la maison bouge. Elle doit avoir un soutien psychologique et nous aussi d'ailleurs." Ce qui l'effraie elle et sa famille, ce sont les répliques sur place. "Et puis tout le monde parle du tremblement de terre qui va arriver à Istanbul, alors on est très tendus", continue-t-elle.
Depuis le séisme, la Turquie tente d'évaluer les dégâts tandis qu'une nouvelle inquiétude refait surface. La mégalopole d'Istanbul, qui compte quelque 16 millions d'habitants et dans laquelle des milliers de personnes se sont réfugiées, est en effet située sur une faille sismique active. Les sismologues l'assurent depuis plusieurs années: elle n'échappera pas au "Big One".
Sujets radio: Céline Pierre-Magnani et Noé Pignède
Adaptation web: Fabien Grenon
Défi humanitaire immense en Syrie
Après douze ans de guerre et le séisme, le défi humanitaire est immense en Syrie, où quelque 6000 personnes ont été tuées le 6 février dernier.
L’aide humanitaire arrive toujours au compte-goutte au nord-ouest du pays. Dans cette zone tenue par des groupes rebelles, les quelques hôpitaux encore debout ne parviennent pas à prendre en charge correctement les 8500 blessés, explique dans La Matinale Mouhib Kodour, chirurgien à l’hôpital d’Aqrabate.
"L’envoi de secours et les convois humanitaires des ONG et de l'ONU ont été lents au démarrage et restent très timides. Un grand nombre de personnes auraient pu être sauvées si elles avaient été prises en charge par des spécialistes", souligne-t-il. Sans compter la pénurie d’équipements, de médicaments et de personnel qualifié qui plane sur les hôpitaux de la région. "Donc on fait notre maximum avec les moyens du bord, pour continuer de soigner le plus de blessés possible."
La plupart des équipes de médecins étrangers, d’infirmiers, mais aussi de psychologues et de kinésithérapeutes n’ont par ailleurs toujours pas pu accéder à cette zone très isolée, indique Myriam Abord Hugon, directrice du programme Syrie chez Handicap international.
On va avoir besoin de faire entrer du personnel et du matériel en renfort pour la partie médicale et pour la réadaptation physique
"Les blessés reçus dans les premiers jours du séisme vont devoir être suivis sur le long terme. Nos équipes et nos partenaire n'ont pas assez de bras. On va avoir besoin de faire entrer du personnel et du matériel en renfort pour la partie médicale et pour la réadaptation physique. On est assez inquiet sur la couverture financière et la problématique d'accès."
A noter également qu'avant le séisme, les patients syriens atteints de maladies graves étaient envoyés dans des hôpitaux frontaliers en Turquie. Ces transferts sont aujourd'hui suspendus par Ankara, car le système hospitalier turc est également à bout de souffle.
La Confédération a délivré 19 visas pour les victimes du séisme
La Confédération a décerné à ce jour 19 visas pour des personnes touchées par le séisme en Turquie ou en Syrie et ayant des proches parents en Suisse. Plus de 200 demandes sont encore pendantes.
Dix-sept visas ont été émis par le consulat général de Suisse à Istanbul et deux par la représentation helvétique à Beyrouth, a indiqué lundi le secrétariat d'Etat aux migrations (SEM). Par ailleurs, 167 demandes de visa sont en cours d'examen à Istanbul et 37 à Beyrouth.