L'archevêque de Buenos Aires Jorge Mario Bergoglio avait été élu pape le 13 mars 2013 suite à la démission de Benoît XVI. Les dix ans de règne de François ont été marqués par sa volonté de réformer l'Eglise catholique, d'empoigner des thèmes comme le réchauffement climatique, les flux migratoires, la justice sociale ou la corruption. Mais ils ont été marqués aussi par une opposition farouche au sein la Curie et un certain nombre de scandales, dont celui des abus sexuels.
Agé aujourd'hui de 86 ans, le Saint-Père a accueilli en toute simplicité l'équipe de la Radio télévision suisse italienne RSI à la résidence Sainte-Marthe au Vatican. Ce long entretien sur le ton de la conversation est marqué par son franc-parler.
J'ai une préférence pour les laissés-pour-compte, pour les nécessiteux.
Le pape François dit aimer les rencontres, échanger avec les gens. Il s'est toujours senti proche des pauvres, des plus démunis, qu'il considère comme le "trésor de l'Eglise" et qu'il faut particulièrement chérir. "C'est vrai que j'ai une préférence pour les laissés-pour-compte, pour les nécessiteux (…), les personnes à qui la vie n'a rien donné et qui doivent se battre pour survivre", dit-il. "Mais cela ne veut pas dire que je laisse tomber les autres".
Le souverain pontife dit aussi combien son origine argentine, latino-américaine, a façonné sa vision du monde. "C'est une autre vision, la réalité est mieux perçue à partir des extrêmes qu'à partir du centre. Et cela m'a beaucoup aidé, on voit mieux la réalité à partir des frontières. C'est un principe social, philosophique et politique très important".
La nécessité de se rendre à Lampedusa
Très tôt dans son pontificat, Jorge Mario Bergoglio s'est intéressé aux migrants. Et sa première sortie hors des murs du Vatican a été tout naturellement dans l'île de Lampedusa.
"J'ai entendu parler des migrants. Et un jour, après la prière, je me suis dit: je dois me rendre à Lampedusa. Lorsque j'ai vu ces personnes, j'ai pris conscience du drame de la Méditerranée. C'est cela, le problème de l'immigration. Et les camps, de l'autre côté, quand nous les renvoyons là-bas".
L'ampleur mondiale de la guerre en Ukraine
Pendant ses dix ans au Vatican, François a aussi fait d'innombrables appels à la paix, dans des contextes de conflits très différents. Mais pour lui, la guerre en cours en Ukraine est d'une ampleur toute particulière.
"Pensez qu'en un peu plus de cent ans, il y a eu trois guerres mondiales: 14-18, 39-45 et celle-ci, qui est une guerre mondiale qui a commencé par petits bouts. Personne ne peut dire aujourd'hui qu'elle n'est pas mondiale, parce que les grandes puissances sont toutes liées".
L'attrait de l'argent est le pire ennemi de l'Homme, le diable entre par les poches.
A ce propos, le Saint-Père évoque aussi l'industrie de l'armement avec une image. "Un technicien m'a dit que si on ne fabriquait pas d'armes pendant un an, nous pourrions résoudre le problème de la faim dans le monde. C'est le marché qui fait la guerre (…) Et les guerres servent à tester les armements", souligne-t-il.
"S'ils essaient d'autres choses, en faveur de la promotion humaine, concernant l'éducation, la nourriture, ce serait bien", suggère François. "Mais l'attrait de l'argent est le pire ennemi de l'Homme, le diable entre par les poches". Et trop d'intérêts sont en jeu, précisément, dans ce conflit.
Pas éduqués à prendre soin de la Création
L'environnement est un autre thème qui préoccupe beaucoup le chef de l'Eglise catholique. Il estime que l'Accord de Paris avait placé la barre très haut, mais qu'ensuite plus rien n'a été fait. Là encore, juge-t-il, trop d'intérêts sont en jeu et la tentation de l'industrialisation est trop grande.
Nous devons défendre les deux poumons, le Congo et l'Amazonie.
"C'est un drame", lance-t-il. "Nous devons défendre les deux poumons, le Congo et l'Amazonie. La déforestation est un crime. Et les eaux du Pacifique montent (…), les pêcheurs ont dans leurs filets une moitié de poisson et une moitié de plastique. C'est un crime. Nous ne sommes pas éduqués à prendre soin de la Création. Nous devons apprendre à le faire. Nous devons avoir de la tendresse pour la Création, notre mère la Terre comme disent les Aborigènes".
Démission possible selon les circonstances
François évoque encore les circonstances qui pourraient l'amener à renoncer à sa fonction. Ce serait "une fatigue qui ne permet plus de voir clairement les choses. Un manque de clarté, de capacité à évaluer les situations", évoque-t-il. "Et aussi les problèmes physiques".
Le pape demande enfin de prier pour lui. "Et si vous ne voulez pas prier, envoyez-moi de bonnes ondes!"
Cet entretien exclusif avec le pape François a été mené par le journaliste Paolo Rodari, longtemps correspondant du journal italien le "Corriere della Sera" et actuellement collaborateur de la Radio télévision suisse italienne. La totalité de l'interview, diffusée dimanche soir, peut être visionnée sur le site de la RSI.
Francesca Argiroffo/oang
"La Suisse a une personnalité propre, mais universelle"
Dans l'interview accordée à la RSI, François évoque aussi son point de vue sur la Suisse, qui "a une personnalité propre, mais universelle".
"Quand, dans les guerres, elle adopte une position neutre, ce n'est pas une manière de se laver les mains, c'est une vocation d'équilibre, d'unité", dit-il.
"J'aime les Suisses. C'est curieux: chaque région a sa propre personnalité", note encore le pape argentin. "Les Tessinois sont plus proches de nous (en Italie, ndlr), ceux qui viennent de Genève sont plus Français, et ceux qui viennent de la partie alémanique ont encore une autre personnalité. Mais tous sont bons, les Suisses ont une très belle humanité", conclut-il.
La pédophilie comme poison de la société
Le pape François a aussi hérité un dossier très lourd de son prédécesseur Benoît XVI, celui des abus sexuels au sein de l'Eglise catholique.
Mais ceux-ci empoisonnent la société entière, rappelle-t-il en évoquant les "terribles" statistiques: "40% de ceux qui ont été abusés le sont au sein de la famille, du quartier. Et cela, on le cache encore aujourd'hui. Et puis, il y a le monde du sport, les écoles, tout le reste. Et puis 3% des prêtres catholiques. On pense peut-être que c’est peu. Non, c’est trop. S'il n'y en avait qu'un seul, ce serait déjà une brutalité".