Ces normes de l'espace aérien international avec lesquelles la Russie joue dangereusement
L'incident en mer Noire a été présenté comme la première confrontation directe entre les Etats-Unis et la Russie depuis l'invasion de l'Ukraine. Tant Washington que Moscou jouent l'apaisement pour éviter ce qui pourrait donner lieu à une escalade incontrôlable du conflit.
Les deux parties livrent toutefois des versions différentes de cet événement. La discorde porte entre autres sur l’utilisation de cet espace aérien international très proche des zones de guerre en Ukraine.
De nombreuses activités sont concentrées au-dessus de la mer Noire, avec des vols d’avions et drones militaires russes et de l'Otan. Le drone américain Reaper qui s’est abîmé en mer Noire remplissait "des missions de renseignement, de reconnaissance et de surveillance", explique dans l'émission Tout un monde Jean-Marc Rickli, directeur des risques globaux au GCSP, le centre de politique de sécurité à Genève.
Certains renseignements collectés par les Américains sont partagés avec les autorités ukrainiennes, ce qui est perçu comme une provocation par Moscou. Ce drone se trouvait toutefois dans l’espace aérien international et ne violait aucune règle. Un pays reste souverain jusqu'à 22 kilomètres au large de ses côtes. Au-delà, l’espace international est ouvert à tout le monde.
Intervention russe "injustifiée"
Pour Xavier Tytelman, consultant en aéronautique et défense, il n’y aucune justification à l’intervention des avions russes. "Les espaces aériens internationaux, c'est comme les eaux internationales: tout le monde a le droit de les traverser à condition qu'ils respectent les règles en vigueur, concernant par exemple la pollution."
"Mais un avion militaire, même armé, même équipé de système de guerre électronique, a tout à fait le droit de voler au-dessus des eaux internationales. Et d'ailleurs, même les Russes envoient des Tupolev 160 jusqu'au Venezuela en longeant les côtes américaines. C'est quelque chose de normal contre quoi personne ne peut rien dire."
Les Russes ne peuvent pas privatiser pendant toute la durée de la guerre tout l'espace aérien de la mer Noire
Et de préciser: "On ne peut pas privatiser une zone internationale. Pour des raisons de sécurité, lors d'un lancement d'une fusée à Kourou par exemple, on peut émettre ce qu'on appelle des NOTAM (réd: Notice To Airmen) dans lesquels on va avertir de ne pas survoler temporairement certaines zones. Mais dans la pratique, les Russes ne peuvent pas privatiser pendant toute la durée de la guerre tout l'espace aérien de la mer Noire, c'est totalement impossible."
Plusieurs incidents sérieux
Il y a des règles d’engagement à observer lorsqu'un avion frôle les limites des frontières aériennes. Il ne peut être abattu que dans des conditions très spécifiques. Plusieurs incidents sérieux ont néanmoins été causés par les Russes ces derniers temps, explique Xavier Tytelman: "C'est quelque chose de récurrent de la part de la Russie."
Il y une récurrence de situations où les Russes font des choses particulièrement dangereuses sans aucune légitimité
Le spécialiste énumère: "Il y a un an, un avion russe est passé à seulement un mètre et demi d'un Boeing P8, un avion de la patrouille maritime dans lequel il y avait des passagers. En octobre dernier, un Sukhoï 27 a même tiré sur un RC-135 britannique, un avion avec des gens à bord et qui n'est pas armé. Heureusement, le missile n'avait pas touché sa cible."
Xavier Tytelman précise que certaines manoeuvres sont autorisées. Il est par exemple habituel d'escorter un avion pour empêcher qu'il viole un espace aérien: "Dans les 48 dernières heures, plusieurs patrouilles russes ont été escortées le long des frontières de l'Otan et de la Suède avec différents avions américains, britanniques et allemands. C'est normal d'avoir ce type d'attitude. Mais par contre, mettre en danger l'avion d'un autre pays, qu'il ait des passagers ou non, c'est totalement inacceptable et aucune règle ne le permet."
Chaînes de dé-confliction
Les provocations, de part et d’autre, font partie du jeu. Jean-Marc Rickli met cependant en garde contre les dérapages. "C'est ce qu'on appelle tester les capacité de l'adversaire. Il y a aussi des avions russes qui volent jusque sur les côtes françaises, en Bretagne, pour voir si les dispositifs des Etats membres de l'Otan fonctionnent. Il est clair que l'intensité est montée d'un cran et le danger est qu'un incident, comme celui du drone américain, puisse mener à une escalade du conflit."
Il y a des avions russes qui volent jusque sur les côtes françaises pour voir si les dispositifs des Etats membres de l'Otan fonctionnent
Jean-Marc Rickli explique que pour pallier ce risque, des chaînes de dé-confliction sont mises en place entre les militaires des deux côtés: "Elles sont très importantes pour tout de suite essayer d'expliquer ce qui s'est passé et calmer le jeu."
Une telle chaîne a été instaurée en mars 2022 par le Pentagone pour communiquer directement avec les responsables militaires russes pour prévenir une escalade dans le cadre de la guerre en Ukraine. Mais selon le site américain The Hill, certains appels sont restés sans réponse du côté de Moscou à des moments critiques.
Sujet radio: Patrick Chaboudez
Texte web: Antoine Schaub