J'engage la responsabilité de mon gouvernement sur l'ensemble du projet de loi", a asséné la Première ministre Elisabeth Borne, haussant le ton pour passer au-dessus des huées et des lazzis des députés de l'opposition chauffés à blanc.
Les syndicats ont réagi en annonçant une journée de grève jeudi prochain, la neuvième d'une longue série depuis mi-janvier, qui jusqu'ici n'a pas fait plier le gouvernement. Dénonçant un "déni de démocratie", ils ont appelé à des rassemblements dès ce week-end.
Quelques milliers de manifestants brandissant des drapeaux de syndicats ou de partis de gauche se sont réunis place de la Concorde après l'annonce, face à de nombreux policiers bloquant le pont conduisant à l'Assemblée nationale. Le rassemblement a été dispersé par les forces de l'ordre vers 20h00.
Jeudi était le jour J pour cette réforme cruciale pour la crédibilité politique d'Emmanuel Macron pendant son second mandat.
Article 49.3
Au paroxysme de l'incertitude, à quelques minutes du début de la séance à l'Assemblée nationale, l'exécutif avait décidé de recourir à l'article 49.3 de la Constitution, qui permet de faire passer un projet de loi sans le soumettre au vote, en engageant la responsabilité du gouvernement.
Jusqu'ici, Emmanuel Macron avait fait savoir qu'il ne voulait pas y recourir et qu'il préférait un vote des députés, alors que sa coalition n'a pas de majorité absolue à l'Assemblée nationale et devait compter sur les votes des députés du parti de la droite traditionnelle, Les Républicains (LR).
Vote trop risqué
Mais aux termes d'innombrables tractations, de fébriles calculs et de multiples réunions de crise, l'exécutif a considéré qu'aller au vote était trop risqué sur ce projet qui recule de 62 à 64 ans l'âge de départ à la retraite.
"Jusqu'à la dernière minute nous avons tout mis en oeuvre" pour essayer d'aller au vote, a-t-elle déclaré jeudi soir sur la chaîne TF1.
Ce recours au 49.3 constitue un revers de l'avis de nombreux commentateurs politiques, le journal de gauche Libération évoquant en Une un "crash politique". Tous les ténors de l'opposition ont fustigé cette décision.
"Le Parlement aura jusqu'au bout été bafoué, humilié" a dénoncé le chef de file des députés communistes Fabien Roussel. "C'est un constat d'échec total de ce gouvernement (...) et pour Emmanuel Macron", a déclaré la cheffe de file de l'extrême droite (RN) Marine Le Pen.
Motions de censure
Le gouvernement d'Elisabeth Borne s'expose maintenant à différentes motions de censure.
Les députés de la coalition présidentielle ont une majorité relative, et il faudrait que les députés, de l'extrême gauche à l'extrême droite, s'accordent pour mettre le gouvernement en minorité et que LR les vote aussi.
Si le RN a déclaré qu'il voterait "toutes les motions d'où qu'elles viennent", le président des Républicains Eric Ciotti a toutefois prévenu que son parti n'en voterait "aucune".
Toutefois, une fronde n'est pas à exclure, le député LR Aurélien Pradié expliquant par exemple qu'il allait "se poser la question" durant le week-end.
Marine Le Pen a annoncé qu'elle en déposerait une, tout comme Julien Bayou, un député écologiste de la coalition de gauche Nupes, qui a évoqué une motion de censure "transpartisane".
Mobilisation relancée?
"Dans la rue, cela va donner un second souffle a la mobilisation", anticipe l'expert Antoine Bristielle, de la Fondation Jean-Jaurès, interrogé par l'AFP.
"Le 49.3 dans l'imaginaire des Français est synonyme de brutalité, c'est le sentiment que le gouvernement n'écoute pas", selon lui. "Cette réforme est un naufrage", a commenté le leader de la CFDT Laurent Berger.
Depuis le 19 janvier, des centaines de milliers de Français ont manifesté contre cette réforme, sur fond de grèves reconductibles, comme celle des éboueurs parisiens.
Les trottoirs de la capitale française, une des villes les plus touristiques au monde, sont ainsi par endroits couverts de montagnes de poubelles malodorantes.
Les différentes enquêtes d'opinion montrent que les Français y sont majoritairement hostiles, même si le nombre de manifestants dans les rues et de grévistes stagne ou reflue au fil du temps.
Le gouvernement français a choisi de relever l'âge légal de départ à la retraite pour répondre à une dégradation financière des caisses de retraite et au vieillissement de la population.
La France est l'un des pays européens où l'âge légal de départ à la retraite est le plus bas.
afp/fgn/hkr
Plusieurs milliers de manifestants en France et des tensions
En "colère" ou "révoltés": plusieurs milliers de manifestants se sont rassemblés dans plusieurs villes de France jeudi pour protester contre la réforme des retraites et le déclenchement de l'article 49.3, des manifestations parfois marquées par des tensions et des dégradations.
Dans l'après-midi, des manifestants se sont rassemblés à l'appel du syndicat Solidaires place de la Concorde à Paris, non loin de l'Assemblée nationale où Elisabeth Borne a déclenché l'article 49.3.
Des représentants de plusieurs organisations de jeunesse, syndicats étudiants (Alternative), et organisations politiques (Jeunes insoumis, Jeunes écologistes, NPA Jeunes), à l'initiative de cette manifestation, étaient présents. Ils ont été rejoints par des travailleurs: cheminots, raffineurs notamment, puis par un cortège de plus de 1600 jeunes parti de la place de la Sorbonne, aux cris de "Emmanuel Macron, président des patrons, on vient te chercher chez toi" et "A bas le 49.3", a constaté une journaliste de l'AFP.