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La bataille politique continue en France après l'utilisation du 49.3 sur les retraites

En France, le passage en force du gouvernement sur la réforme des retraites jeudi, a renforcé la contestation. Le bras de fer se durcit avec l’opposition et les syndicats.
En France, le passage en force du gouvernement sur la réforme des retraites jeudi, a renforcé la contestation. Le bras de fer se durcit avec l’opposition et les syndicats. / 19h30 / 2 min. / le 17 mars 2023
Quelques troubles sociaux ont éclos vendredi en différents points de France au lendemain du passage en force du gouvernement sur la réforme des retraites, qui fragilise Emmanuel Macron et revigore la contestation. Deux motions de censure ont été déposées à l'Assemblée nationale.

A Paris, quelque 200 manifestants réunis par le syndicat puissant CGT ont entravé la circulation vendredi matin sur le boulevard périphérique parisien, au lendemain d'une soirée émaillée de violences. Jeudi soir, une manifestation spontanée de quelques milliers de personnes a dégénéré autour de la place de la Concorde, non loin de l'Assemblée nationale, débouchant sur plus de 300 interpellations.

Et vendredi soir, plusieurs milliers de personnes se sont rassemblées à nouveau rassemblées place de la Concorde, à quelques centaines de mètres de l'Assemblée. Un brasier flambait, allumé par des manifestants.

A Strasbourg, c'est sur la place Kléber que se sont retrouvés plusieurs centaines de protestataires.

Des incidents ont aussi éclaté dans plusieurs villes de France. Dans la raffinerie de TotalEnergies de Normandie (ouest), les grévistes arrêteront les installations ce week-end.

Des manifestations sporadiques, comme des blocages de lycées, de plate-formes de courrier ont eu lieu en différents points du territoire, alors que des assemblées générales de certaines branches syndicales (énergie, cheminots) sont prévues dans l'après-midi pour tenter d'encadrer le regain de mobilisation provoqué par le coup de tonnerre politique de jeudi.

>> Revoir les images du discours d'Elisabeth Borne à l'Assemblée nationale :

Elisabeth Borne déclenche le 49.3 devant une Assemblée nationale en furie
Elisabeth Borne déclenche le 49.3 devant une Assemblée nationale en furie / L'actu en vidéo / 1 min. / le 17 mars 2023

Mobilisation le 23 mars

Plusieurs responsables syndicaux ont mis en garde contre de possibles "débordements" ou "actions individuelles" de salariés de la base. L'intersyndicale prévoit elle "des rassemblements locaux de proximité" ce week-end, ainsi qu'une neuvième journée de grèves et de manifestations le jeudi 23 mars.

A Paris, les poubelles qui ne sont pas ramassées par les éboueurs en grèves continuent de s'amonceler en montagnes malodorantes et les autorités préparent des réquisitions pour en dégager une partie.

>> Relire : Le débat enfle à Paris face à la grève des éboueurs qui se prolonge

Deux motions de censure déposées

Deux motions de censure ont été déposées vendredi pour tenter de renverser le gouvernement, au lendemain de sa décision d'utiliser le 49.3 pour faire passer la réforme.

>> Lire : Elisabeth Borne déclenche sous les huées l’article 49.3 pour faire passer sa réforme

Le groupe des députés indépendants Liot a déposé une motion "transpartisane" cosignée par des élus de la Nupes. Cette dernière a davantage de chances d'être votée par des députés de droite défavorables à la réforme des retraites. Mais la barre de la majorité absolue pour faire chuter le gouvernement paraît difficile à atteindre.

Le petit groupe Libertés, Indépendants Outre-mer et Territoires (Liot), qui compte 20 députés de diverses tendances politiques, se retrouve ainsi en position de pivot.

Une heure après, le Rassemblement national (RN) a déposé à son tour une motion de censure. "Et nous voterons toutes les motions de censure présentées", a souligné la députée Laure Lavalette.

Il faudra attendre au minimum quarante-huit heures pour qu'elles soient débattues.

>> L'analyse de Tristan Dessert dans le 12h45 :

Tristan Dessert analyse le passage en force du gouvernement français sur la réforme des retraites
Tristan Dessert analyse le passage en force du gouvernement français sur la réforme des retraites / 12h45 / 1 min. / le 17 mars 2023

Pas un échec pour le gouvernement

Les poids-lourds du gouvernement ont été dépêchés dans les matinales télés et radios vendredi matin pour tenter d'éteindre l'incendie.

"Nous avons vocation à continuer de gouverner", a affirmé le porte-parole du gouvernement Olivier Véran, renouvelant sa "confiance" à la Première ministre Elisabeth Borne dont la position à Matignon semble menacée.

De son côté, le ministre du Travail Olivier Dussopt, qui porte ce texte prévoyant notamment un recul de deux ans de l'âge de départ à la retraite, de 62 à 64 ans, a refusé de présenter le recours au 49.3 comme "un échec". "Il y a un texte et ce texte sera, si la motion de censure est rejetée, mis en oeuvre", a-t-il estimé.

Pour la présidente de l'Assemblée, Yaël Braun-Pivet, "nous ne sommes pas en crise politique".

>> Lire aussi : Jean Garrigues: "Emmanuel Macron n'aura ni la popularité, ni la postérité"

Plus de 300 arrestations

Annonçant 310 arrestations en France, dont 258 à Paris, jeudi soir, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a dénoncé vendredi notamment "des effigies brûlées" à Dijon et des "préfectures prises pour cible". Des incidents ont aussi éclaté à Rennes, Nantes, Amiens, Lille, Marseille ou encore Grenoble.

La patronne des députés Renaissance Aurore Bergé a demandé à Gérald Darmanin de "mobiliser les services de l'Etat" pour la "protection des parlementaires" de la majorité.

L'intersyndicale a appelé à "des rassemblements locaux de proximité" ce week-end ainsi qu'à une neuvième journée de grèves et de manifestations le jeudi 23 mars. Elle a dénoncé un passage "en force" et dit mesurer "avec gravité la responsabilité que porte l'exécutif dans la crise sociale et politique qui découle de cette décision, véritable déni de démocratie".

Plusieurs responsables syndicaux dans les secteurs du transport et de l'énergie ont mis en garde contre de possibles "débordements" ou "actions individuelles" de salariés de la base.

Divisions à droite

A l'Assemblée, l'heure est aux règlements de comptes.

D'abord au sein des Républicains, dont les divisions sur ce texte,  pourtant façonné par leurs collègues LR du Sénat, ont lourdement pesé sur la décision de l'exécutif. Mais aussi au sein de la majorité, où le 49.3 risque de laisser des traces.

A droite, le président du parti Eric Ciotti a assuré jeudi que les députés LR ne s'associeraient ni ne voteraient "aucune motion de censure". Avant d'être contredit quelques minutes plus tard par le député LR Aurélien Pradié, en pointe parmi les frondeurs sur ce texte.

Dans la majorité, l'amertume était palpable, notamment chez les alliés de Renaissance.

"C'était une erreur de faire le 49.3 sur un texte comme ça vu l'état de notre démocratie. Il fallait aller au vote, quitte à perdre. Je suis sous le choc", a réagi le député MoDem Erwan Balanant.

Pour un responsable du groupe majoritaire, sous couvert d'anonymat, "c'est un crash. Il faut une dissolution".

>> Ecouter les explications dans le 19h30 de Raphaël Grand depuis Paris :

Raphaël Grand, correspondant en France, revient sur la contestation contre la réforme des retraites imposée par le gouvernement français.
Raphaël Grand, correspondant en France, revient sur la contestation contre la réforme des retraites imposée par le gouvernement français. / 19h30 / 1 min. / le 17 mars 2023

afp/vajo

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La presse fustige "l'échec" et la "faiblesse" d'Emmanuel Macron

"Aveu de faiblesse", "échec", "pantalonnade": la presse française fustige unanimement vendredi le passage sans vote, par le recours à l'article 49.3 de la Constitution française, choisi par Emmanuel Macron pour faire adopter sa réforme des retraites, et pointe du doigt le président pour la crise politique et sociale qui menace.

La presse internationale n'est pas en reste, soulignant à l'instar du New York Times que "le conflit sur les retraites révèle un Macron affaibli et plus isolé", ou de Die Zeit selon qui "cette réforme pèsera longtemps sur le pays".

"Emmanuel Macron s'est lui-même coincé dans une impasse politique", constate Patrick Jankielewicz dans La Voix du Nord. "S'il fallait sauver la réforme des retraites, il n'y avait qu'une façon de le faire: il fallait aller jusqu'au vote. C'était bien sûr courir le risque d'être battu, mais en politique, il vaut parfois mieux tomber avec les honneurs que passer en force et sans gloire au risque de jeter de l'essence sur le brasier social."

"Le goût de l'échec", titre pour sa part Yves Thréard dans Le Figaro, qui estime également que "l'exécutif est plus que jamais affaibli".

"Le Président pourrait sauver les meubles en annonçant que la loi sera abrogée après ce passage antidémocratique. Mais ce n'est pas son genre d'écouter les Français", regrette Dov Alfon dans Libération.

"Crise de régime", titre pour sa part Maud Vergnol dans L'Humanité. "Avec ce nouveau recours au 49.3, le divorce entre nos institutions et le peuple est consommé, acmé d'une crise rampante de délégitimation du pouvoir politique, ouvrant une voie royale aux tentations autoritaires. L'incendiaire de l'Elysée est l'unique responsable de cette situation", estime-t-elle.

Plus mesurée dans ses critiques, la presse internationale n'en dresse pas moins le même constat d'un président affaibli et d'une situation sociale explosive en France.

"La République bloquée", titre Die Zeit, selon qui "il y a des réformes donc un gouvernement ne se relève jamais". "La confiance dans le président et le Parlement, déjà en berne, a subi un coup supplémentaire ce jeudi. Emmanuel Macron en est le premier responsable", juge l'hebdomadaire allemand.

L'utilisation du 49.3 symbolise "l'échec de la politique et une crise institutionnelle profonde", estime Ana Fuentes dans El Pais.

Pour cette ancienne correspondante à Paris du quotidien espagnol, "Macron, dont la popularité est au plus bas, toujours remis en question pour son caractère hautain et déconnecté de la rue, est entré dans la même phase que ses prédécesseurs Alain Juppé, en 1995, et Nicolas Sarkozy, en 2010, lorsqu'ils ont eux aussi réformé les retraites."