La ville de garnison est située aux portes de Bagdad. Entourée de checks points, de camps militaires fortifiées et de miradors, Abou Ghraib détient, à la place d'un centre-ville, une prison de 115 hectares. Plus d'un million de personnes habitent dans la métropole, mais une atmosphère de peur continuelle semble peser sur les rues désertes.
Selon le chercheur irakien Salam Habib, qui travaille pour l'ONG britannique Airwars, cela n'a rien de surprenant. En effet, une grande majorité des géoliers - "peut-être 80%" - étaient originaires de la région. Il existe par conséquent "une connexion entre la ville et la prison".
Le scientifique précise dans La Matinale de la RTS que la société a été profondément affectée par les images de "détenus nus, humiliés et torturés". Au plus fort de l'occupation américaine, jusqu'à 50'000 personnes auraient été emprisonnées dans cet établissement, parfois de façon arbitraire.
Des détentions arbitraires
Salam Habib, également journaliste d'investigation, a récolté des témoignages attestant de ces arrestations infondées. Selon l'ancien capitaine de la garde de Saddam Hussein, Hassan Al Janaby, aujourd'hui âgé de 50 ans, "les forces américaines ou irakiennes arrêtaient entre 100 et 150 personnes" tous les jours, "parfois sans accusation".
Les anciens détenus, marqués à vie, sont profondément traumatisés par leur détention. Ils refusent par ailleurs de raconter ce qu'il s'est passé dans l'enceinte de la prison à quiconque, par "honte", précise Salam Habib.
Fuite dans les médias
Les sévices subis par les prisonniers au sein de la prison ont été révélés après la fuite, dans les médias, de photos prises par des militaires américains à Abou Ghraib. Les pires actes de torture y étaient pratiqués.
Ali Al-Qaissi, l'une des victimes les plus tristement célèbres, a témoigné auprès de Benoit Drevet, journaliste correspondant auprès de la RTS en Irak. Une image sur laquelle Ali Al-Qaissi figure a fait le tour du monde: il se tient debout sur une boîte, les bras en croix suspendus à des fils électriques, une cagoule sur la tête. Un filet de sang s'en échappe.
L'Irakien est aujourd'hui réfugié à Berlin, où il a fondé l'Association des victimes des prisons de l'occupation américaine. Il a correspondu avec "des milliers d'entre" elles, ces dernières possédant pour la plupart "des problèmes physiques ou psychologiques". Son organisation tente de "les aider à aller mieux", soutenue dans sa démarche "par des institutions comme la Croix-Rouge ou l'Union européenne".
Obtenir justice
Ali Al-Qaissi a été emprisonné en octobre 2003 à Abou Ghraib après avoir voulu montrer à des reporters les destructions causées par l'armée américaine. Libéré après près d'un an d'incarcération grâce à la Croix-Rouge et sans qu'aucune charge ne soit retenue contre lui, il a subi 68 jours d'interrogatoire sous la torture.
L'ancien détenu décrit les simulations de noyade, les douches glacées, les électrocutions et les viols comme des "pratiques courantes" dans l'établissement pénitencier. Les prisonniers pouvaient également être affamés ou privés de sommeil durant des jours.
Sa main gauche mutilée par des chocs électriques, Ali Al-Qaissi a subi six interventions chirurgicales en raison des sévices endurés. Désormais, il se bat afin d'obtenir justice pour les anciens prisonniers et empêcher leur tombée dans l'oubli et pour que ces actes de torture ne soient jamais oubliés ni répétés.
Sujet radio: Benoit Drevet
Adaptation web: Mérande Gutfreund