Au total, 3,5 millions de personnes ont manifesté dans plus de 300 villes de France, selon le syndicat CGT, et 1,08 million selon le ministère de l'Intérieur. Une mobilisation massive pour cette 9e journée d'action, la première depuis que le gouvernement a utilisé une disposition constitutionnelle, le recours à l'article 49.3, pour faire passer le texte sans vote de l'Assemblée le 16 mars.
Paris a enregistré un nombre record de manifestants et la mobilisation est en hausse à l'échelle du pays par rapport à la 8e journée de mobilisation le 15 mars (480'000 manifestants), tout en restant moindre que d'autres journées de janvier ou mars, selon le ministère de l'Intérieur. Les syndicats évoquent eux un niveau équivalent au record du 7 mars.
Nouvelle journée d'actions
Alors que, selon une source proche du gouvernement, l'exécutif espérait que la contestation s'étiolerait et que tout rentrerait dans l'ordre "ce week-end", les syndicats ont d'ores et déjà appelé à une 10e journée d'action nationale mardi.
Ils ont souligné la "détermination du monde du travail et de la jeunesse à obtenir le retrait de la réforme", qui prévoit notamment le recul de 62 à 64 ans du départ à la retraite.
Les manifestations, grèves et débrayages "sont une réponse" à l'"entêtement incompréhensible" du président, ont souligné les syndicats, en estimant que "la responsabilité de la situation explosive", avec la multiplication des incidents, incombait au gouvernement.
Garder le soutien de l'opinion publique
Peu avant le départ du cortège parisien, le secrétaire général du syndicat réformiste CFDT Laurent Berger avait noté un "regain de mobilisation" et appelé à la non-violence. "Jusqu'au bout, il va falloir garder l'opinion [avec nous]", car elle est une "pépite", a-t-il ajouté, alors que la contestation se radicalise depuis quelques jours.
A ses côtés, son homologue de la CGT Philippe Martinez a estimé que le président Emmanuel Macron avait "jeté un bidon d'essence sur le feu" avec son interview la veille, dans laquelle il est resté inflexible, parfois tranchant, réaffirmant "la nécessité" de sa réforme.
Malgré la forte impopularité du texte d'après les sondages, Emmanuel Macron a martelé mercredi que la réforme devait être appliquée "avant la fin de l'année", invoquant la défense de "l'intérêt général" face à la dégradation financière des caisses de retraite et au vieillissement de la population.
Vitrines brisées
A Paris, où la CGT a annoncé 800'000 manifestants et le ministère 119'000, des violences ont rapidement éclaté en tête de cortège: pavés, bouteilles et feux d'artifice lancés sur les forces de l'ordre, vitrines et abribus brisés et feux de poubelles. En début de soirée, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin indiquait que 123 gendarmes et policiers avaient été blessés jeudi, et plus de 80 personnes interpellées.
La préfecture de police a recensé "environ un millier" d'éléments radicaux dans la capitale, où la situation restait chaotique en début de soirée, avec des incidents toujours en cours.
A Nantes et Rennes (ouest) aussi, des heurts ont opposé des manifestants aux forces de l'ordre, qui ont fait usage de gaz lacrymogènes et de canon à eau. A Lorient, le commissariat a été pris pour cible. Des tensions plus ou moins fortes ont également été observées dans d'autres villes comme Toulouse, Bordeaux (sud-ouest) ou Lille (nord).
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"Journée noire"
Dans les cortèges, la colère était palpable avec beaucoup de ressentiment vis-à-vis du chef de l'Etat. Une forte participation des jeunes a été relevée. Quelques dizaines des 3750 lycées et collèges français ont été bloqués, ainsi que des établissements universitaires.
Jeudi, les transports ferroviaires et le métro parisien ont été très perturbés, les syndicats ayant appelé à "une journée noire".
L'approvisionnement en kérosène de la région parisienne et de ses aéroports par la Normandie (ouest) "devient critique" en raison des grèves dans les raffineries, a indiqué pour sa part le ministère de la Transition énergétique. Le gouvernement a déjà "pris un arrêté de réquisition" à l'égard des grévistes de la raffinerie TotalEnergies de Normandie, mise à l'arrêt le week-end dernier et où les expéditions de carburants sont bloquées.
Plus symboliquement, la Tour Eiffel, l'Arc de Triomphe ou encore le château de Versailles sont restés fermés.
Centaines d'interpellations et de blessés
Le ministre français de l'Intérieur Gérald Darmanin a fait état vendredi de "457 interpellations" et de "441 policiers et gendarmes blessés" jeudi en France lors de la 9e journée de mobilisation contre la réforme des retraites.
Invité de la chaîne Cnews, le ministre a affirmé en outre qu'il y avait eu "903 feux de mobiliers urbains ou de poubelles" jeudi à Paris lors de la manifestation intersyndicale.
>> Les explications de Raphaël Grand, correspondant de la RTS à Paris, sur la page Instagram de RTSinfo
afp/vajo
"Les violences et dégradations" sont "inacceptables", juge la Première ministre
Elisabeth Borne a jugé jeudi soir "inacceptables" les "violences et dégradations" dans les manifestations contre la réforme des retraites, qui ont connu un regain de tensions dans plusieurs villes.
"Manifester et faire entendre des désaccords est un droit. Les violences et dégradations auxquelles nous avons assisté aujourd'hui sont inacceptables", a écrit sur Twitter la Première ministre, qui exprime "toute (sa) reconnaissance aux forces de l'ordre et de secours mobilisées".
Le "mépris" d'Emmanuel Macron dénoncé par les syndicats
Mercredi, Emmanuel Macron n'avait pas dévié de son cap, réaffirmant que sa réforme était "nécessaire", qualifiant les auteurs de violences de "factieux" et égratignant au passage les syndicats, et particulièrement la CFDT, accusés de ne pas avoir su "propose(r) un compromis".
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"Cibler la CFDT, c'est idiot. Je n'ai jamais renoué le dialogue en mettant une gifle à quelqu'un", a répondu Laurent Berger jeudi.
Les autres leaders syndicaux ont dénoncé à l'unisson le "mépris" et le "déni" du chef de l'Etat, arrivé jeudi à Bruxelles pour un conseil européen.