"Pas de retraités, sur une planète brûlée… Retraites, climat, même combat!". Sur un air de techno, Mathilde, militante du mouvement écologiste Alternatiba et assistante parlementaire LFI, se lance dans une chorégraphie endiablée, lunettes de soleil noires sur le nez.
Tournée le 14 mars dernier dans le cadre du mouvement de contestation contre la réforme des retraites, la vidéo connaît un succès fulgurant sur les réseaux sociaux. En moins de deux semaines, elle totalise près de quatre millions de vues.
Le corps comme "outil de lutte"
Mais si certains internautes saluent cette énergie, d'autres se montrent bien plus virulents et déplorent le "manque de sérieux" par rapport à la cause défendue. Selon eux, ce type d'actions "décrédibilisent" la lutte. "Tu m'étonnes que le gouvernement nous prenne pour des clowns et nous méprise", peut-on ainsi lire dans un commentaire sous la publication. Dans une interview donnée sur le site Konbini, la jeune militante de 25 ans se défend: "Ce n'est pas parce qu'on est en train de danser qu'on est train de se moquer de la lutte".
Dans le média Reporterre, la jeune femme explique également considérer la danse comme "un outil de politisation énorme", et le corps comme "un outil de lutte". "On peut tenir un propos politique sérieux tout en chantant et en dansant, cela a toujours fait partie des mouvements sociaux". Pour la "techno-gréviste", la danse est aussi un moyen d'attirer un public plus jeune et éloigné des milieux politiques.
"Nous on veut vivre, pas juste survivre"
A Paris et dans d'autres grandes villes françaises, chants et chorégraphies de groupe s’enchaînent depuis plusieurs semaines. "Bloque bloque bloque bloque bloque", lancent les activistes sur l’air du titre Work de Rihanna. Le hit techno "Taxer les riches", toujours incarné par Mathilde en tête de cortège, connaît également un gros succès sur les réseaux sociaux.
Dernier exemple parmi beaucoup d'autres, la reprise du tube "I will survive" de Gloria Gaynor par de nombreux manifestants. A commencer par des militantes féministes, habillées en bleu de travail comme Rosie la riveteuse, icône américaine née en 1943.
"Nous on veut vivre, pas juste survivre, vivre dignement et décemment, profiter de nos petits-enfants. La retraite à 60 ans, bosser mieux et moins longtemps", scandent-elles en dansant à l'unisson, la main sur le coeur.
La danse, à la fois grave et festive
Comme l'explique l'historien Hervé Leuwers, la danse, mais surtout les chants et l'esprit festif animaient déjà la période révolutionnaire. Ils sont l'expression d'une forme d'espoir. "La chanson est ainsi un divertissement, mais c’est aussi un moyen de faire passer des informations et de mobiliser des foules autour de combats communs", souligne-t-il dans le magazine Marianne.
Aujourd'hui, la danse est à la fois grave et festive, avec des slogans, des chansons et des chorégraphies, parfois au millimètre et à la seconde. "Elles sont là pour exprimer une revendication mais aussi pour souder les manifestants autour de mots d’ordre communs. Les racines de telles pratiques sont anciennes: on peut les retrouver à l’époque de la Révolution, et même au-delà".
Un mode d'expression pris très au sérieux autrefois
L'historien et spécialiste de la Révolution française donne notamment l'exemple du chant révolutionnaire "la Carmagnole" créé en 1792 et sur lequel on peut également danser sous la forme d’une ronde. La chanson s'est popularisée dans toute la France après la chute de la monarchie pour devenir un hymne des sans-culottes, explique le spécialiste. À cette période, la chanson est alors un mode d’expression pris très au sérieux.
En ce qui concerne la danse, le parallèle historique est plus difficile à établir. En effet, la danse, contrairement à la chanson, laisse moins de traces dans les archives. Elle est plus éphémère mais a aussi toute son importance. "On la connaît par des estampes, qui montrent des hommes et des femmes qui dansent, par exemple, autour de l’arbre de la liberté. Elle accompagne aussi les chansons", souligne Hervé Leuwers.
Hélène Krähenbühl