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La "dubaïsation" en marche des villes d'Afrique par la course aux gratte-ciel

L'Egypte achève son "Iconic tower", qui culmine à 393 mètres au coeur de sa nouvelle capitale administrative près du Caire. [EPA/ Keystone - Khaled Elfiqi]
Des villes africaines rêvent du modèle Dubaï / Tout un monde / 16 min. / le 29 mars 2023
De grandes villes d'Afrique se sont lancées depuis quelques années dans une course à la hauteur, avec de grands projets de gratte-ciel. Symbole de l'émergence du continent, ce modèle de développement contraste pourtant souvent avec les attentes de la population.

L'Egypte achève actuellement son "Iconic Tower", qui culmine à 393 mètres au coeur de sa nouvelle capitale administrative. Le Maroc, lui, a sa Tour Mohammed VI à Rabat, qui affiche 250 mètres de haut. Pour qualifier ces rêves de gigantisme, on entend désormais parler de "Dubaïsation" de l'Afrique - en référence à l'Emirat du Golfe et son urbanisation extravagante.

En Côte d'Ivoire, à un an de l’organisation de la Coupe d’Afrique des Nations de football, la ville d’Abidjan est un immense chantier permanent. Entre première ligne de métro ou nouveaux ponts enjambant la lagune Ebrié, une construction monumentale commence à s'élancer vers le ciel au coeur du quartier des affaires. La Tour F du quartier du Plateau, dont 17 étages sont déjà sortis de terre, est budgétée à au moins 500 millions de francs suisses.

Future vitrine internationale de la Côte d'Ivoire

Elle doit en théorie être achevée en juin 2025, soit quelques mois avant l’élection présidentielle. Sa taille définitive est encore en discussion, en raison de problèmes de financement. Elle pourrait atteindre 250, 280 ou encore 333 mètres de haut. Il a aussi été question un temps d'y rajouter encore une antenne de 80 mètres pour en faire l’immeuble le plus haut d’Afrique.

C'est la future vitrine de la Côte d’Ivoire à l’international. Mais des membres de l’opposition et des acteurs de la société civile dénoncent un projet inadapté, beaucoup trop cher et décidé sans consultation du Parlement. La Côte d'Ivoire se développe mais la population ne gagne rien, déplorent certains.

>> Le reportage de François Hume-Ferkatadji dans l'émission Tout un monde :

Image de synthèse de la Tour F, dans le quartier du Plateau à Abidjan. [DR - Besix]DR - Besix
Des villes africaines rêvent du modèle Dubaï: le reportage de François Hume-Ferkatadji / La Matinale / 5 min. / le 29 mars 2023

Il y a de fait une situation un peu paradoxale aujourd'hui en Afrique, souligne Armelle Choplin, professeure de géographie et d'urbanisme à l'Université de Genève, mercredi dans l'émission Tout un monde de la RTS.

"On a ces tours qui fleurissent dans la plupart des villes, soumises à certaines critiques mais qui sont aussi des symboles de l'émergence, peut-être d'un mieux-vivre pour la population, un peu comme la première pierre vers un développement dont on a tant parlé", dit-elle.

Les dirigeants doivent répondre aux besoins des habitants et en même temps faire de leurs villes des vitrines.

Armelle Choplin
La Tour Mohammed VI à Rabat, au Maroc. [CC-BY-SA - Kabrsgh]
La Tour Mohammed VI à Rabat, au Maroc. [CC-BY-SA - Kabrsgh]

Ce modèle contraste pourtant avec les attentes de la population. "Souvent, les citoyens disent que ça ne leur rapporte rien au quotidien", fait remarquer cette spécialiste. Mais la situation est complexe pour les dirigeants, "qui doivent répondre aux besoins de base des habitants (…) et en même temps attirer les capitaux étrangers, être sur la scène internationale, faire de leurs villes et surtout des capitales, des vitrines pour drainer de l'argent".

Symboles ambigus de la modernité

C'est là où cela devient paradoxal, note Armelle Choplin: "Ces tours sont le symbole de cet argent qui arrive en Afrique mais elles sont critiquées parce que les gens n'y habitent pas, elles sont vides. Et c'est là toute l'ambiguïté de ces symboles de la modernité et de l'émergence".

Il faut savoir aussi que la construction est le secteur le plus dynamique aujourd'hui dans des pays qui connaissent un taux de croissance à deux chiffres. Et "si l'Afrique a encore aujourd'hui l'image d'un continent pauvre, ce qu'elle est, cela ne veut pas dire qu'elle n'a pas de riches", relève cette professeure de géographie et d'urbanisme.

Les 'afri-capitalistes' aimeraient que les retombées de leurs activités aillent à l'Afrique en premier lieu.

Armelle Choplin

Une partie de la population, même infime, est riche, voire très riche, et veut aussi investir. "Ces nouveaux riches s'appellent eux-mêmes des 'afri-capitalistes', qui aimeraient que les retombées de leurs activités aillent à l'Afrique en premier lieu (…) Ils vont le réinvestir localement et très souvent, le seul secteur qui a peu de risques, c'est le secteur immobilier".

Pour la jeunesse africaine, ajoute Armelle Choplin, le modèle de réussite est clairement Dubaï. "C'est aussi un modèle émancipé de tout rapport hérité de la colonisation".

Et les tours sont aussi destinées à changer l'image de l'Afrique. "Pourquoi ce serait le seul continent qui ne devrait pas avoir de tours?", interroge-t-elle encore "Quelque part, les villes africaines sortent ainsi de leur exceptionnalité".

Armelle Choplin a publié en 2020 "Matière grise de l'urbain: la vie du ciment en Afrique", chez MétisPresses.

Propos recueillis par Eric Guevara-Frey/oang

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